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Un paradis perdu

Un paradis perdu

Titel: Un paradis perdu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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avoir formés et guidés jusque-là, dit Mark en riant.
     
    – N'est-ce pas un peu le cas ?
     

    Dans l'intimité, Charles et Otti, échangeant leurs impressions, convinrent que Mark Tilloy, Anglais de bonne souche, était devenu un parfait Chicagoan 4 , type d'homme d'affaires fort différent de son alter ego bostonien, bien qu'il en eût, dans le vent de la prospérité, acquis la ronde bedaine, festonnée d'une chaîne de montre en or. En revanche, jamais Arnold Buchanan n'eût endossé, comme lui, des vestons droits à revers étroits et poches plaquées, porté des chemises bleu pâle à col blanc rabattu, ni arboré des cravates à rayures colorées. Ann était dans le ton et bien qu'une très légère claudication rappelât sa paralysie d'autrefois, la fille de Jeffrey Cornfield conservait, dans la sérénité d'une cinquantaine épanouie, la grâce mélancolique de celles que la souffrance physique a éprouvées.
     
    Mark Tilloy paraissait très fier de sa ville d'adoption, où le mouvement des affaires traitées avait atteint, l'année précédente, le chiffre record de mille cinq cent quarante millions de dollars. L'armateur avait trouvé en Thomas Artcliff un supporter enthousiaste. L'architecte tint à montrer aux Bahamiens les buildings qui impressionnaient les visiteurs de l'Exposition. La chambre de Commerce, avec ses quatorze étages, la tour de la Bourse, le Women's Temperance Club qui, du haut de ses treize étages, menaçait de la fureur des militantes anti-alcooliques les buveurs de whisky et de bière, le temple maçonnique, dont les lanternes électriques, suspendues au vingt-deuxième étage, dardaient, la nuit venue, leurs faisceaux lumineux, tels des phares.
     
    Tilloy n'épargna pas à ses amis ce qui faisait la singularité et une partie de la fortune de Chicago : les parcs à bestiaux et les abattoirs de l'Union Stock Yard, où vingt-cinq mille ouvriers tuaient, découpaient, emballaient et expédiaient, chaque année, la viande fournie par quatre millions de bovins, huit millions de porcs, deux millions et demi de moutons.
     
    Quand il ne vantait pas les charmes de Chicago, Mark Tilloy parlait automobile, ainsi qu'on nommait, depuis trois ans, les véhicules pourvus d'un moteur à pétrole. Il s'intéressait particulièrement, et sans doute les soutenait-il de ses dollars, aux frères Charles Edgar et James Frank Duryea, qui venaient de faire rouler à Springfield, Massachusetts, une voiture mue par un moteur à un cylindre, avec allumage électrique.
     
    – Le Chicago Herald propose d'organiser, l'an prochain, une course entre les différents modèles d'automobiles, car les frères Duryea ne sont pas les seuls à construire des engins qui se déplacent par leurs propres moyens. Si les Duryea acceptent de me confier une de leurs machines, je compte bien être de la partie, annonça Mark.
     

    Lord Pacal devait, lui, s'intéresser au quatre centième anniversaire de la découverte de l'Amérique. Le 8 mai, le président Grover Cleveland, dans son bureau de la Maison-Blanche à Washington, pressa un commutateur électrique qui libéra à Chicago la puissance des dynamos, conçues et construites par George Westinghouse, pour fournir énergie et lumière à l'ensemble de l'Exposition. Celle-ci occupait deux cent soixante dix-huit hectares sur Jackson Park et Washington Park, espaces verts situés en bordure du lac, de part et d'autre du large boulevard Midway Pleasance.
     
    Lord Pacal en fit le tour avec Susan, avant de se rendre au stand des West Indies, où l'on présentait écaille de tortue, chapeaux et sacs de sisal tressé, éponges, ananas en boîte, colliers de coquillages, pendentifs à dents de requin, camées gravés dans les conches et quelques perles, semblables à celle offerte à Sa Très Gracieuse Majesté la reine Victoria. Les architectes Burnham et Artwood avaient conçu des bâtiments de style classique, tous d'une blancheur lumineuse et ceints d'une même corniche. Bien que provisoire, cette cité blanche valut aussitôt à Chicago le surnom de White City, ce qui, étant donné la crasse fort visible de certains quartiers, parut à lord Pacal vaniteuse surestimation de polygraphes enthousiastes.
     
    Si Charles, Otti et Pacal, entraînés par Ann et Mark Tilloy se grisèrent, le 21 juin, d'un tour sur la grande roue de l'ingénieur Ferris, principale attraction de l'Exposition, Susan refusa de monter dans une des trente-six nacelles de quarante places de

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