Un paradis perdu
marin, on déplorait la disparition de plusieurs passagers. Lord Pacal se souvint d'avoir vu, en 1887, le Santiago illuminé dans le port de Nassau, lors du jubilé de la reine Victoria.
Début septembre, il dut se rendre à Nassau, où le gouvernement et les assemblées se préparaient à accueillir Joseph Chamberlain, leader du parti libéral unioniste, que l'on donnait comme futur secrétaire d'État aux Colonies. Accompagné de son fils aîné, Austen, membre de la Chambre des communes, le politicien se rendait à Andros Island pour visiter sa plantation de sisal, dirigée par Neville, son plus jeune fils.
En arrivant au Royal Victoria Hotel, Pacal apprit, par son fondé de pouvoir, que Michael Ferguson, haut fonctionnaire du Colonial Office, et son secrétaire, James Kevin, figuraient parmi les victimes du naufrage du Santiago .
– Connaît-on le sort de l'épouse de Michael Ferguson ? s'empressa de demander Pacal.
Lizzie lui ayant annoncé son retour de la Jamaïque pour août 93, elle devait se trouver, elle aussi, à bord du paquebot.
– Liz Ferguson est saine et sauve, my lord , simplement un peu endolorie. Elle est actuellement au nouvel hôpital Victoria Jubilee. Son frère, Frederik Horney, l'agent de change, s'occupe de faire venir à Nassau les corps de Michael Ferguson et de son secrétaire, précisa l'homme.
Ce fut de la bouche de Liz, hébergée par sa cousine Ellen Horney que, deux jours plus tard, lord Pacal connut les détails du drame.
– Pris dans la tempête, le commandant du Santiago décida de mettre son navire à l'abri, dans le port de Spanish Wells. Mais un vent violent compromit la manœuvre et, tout près de la côte, nous jeta sur un rocher. Je ne sais comment je me suis vue dans l'eau, au milieu de gens qui se débattaient en criant. Michael, lui, n'avait pas perdu son sang-froid : il me saisit et, en nageant, me porta jusqu'aux barques des gens de Spanish Wells, venus à notre secours. Dès que je fus en sûreté, il repartit à la nage vers le navire échoué. James Kevin, son secrétaire, et vous savez ce qu'il représentait pour lui depuis des années, était encore à bord. Mais le navire a soudain basculé, dans un grand remous, et c'est alors que beaucoup de gens furent noyés, rapporta Lizzie, encore hébétée.
– Les corps ont été retrouvés, dit Pacal.
– C'est ce que m'a dit le directeur du Colonial Office. Michael et James ont été mis en bière et portés à la plantation que mon père exploite à Eleuthera. Mon frère n'a pu décider aucun propriétaire de bateau à Nassau à aller chercher les cercueils. « Nous promenons les touristes, pas les morts », ont répondu ces marins sans cœur.
– Si vous acceptez, je donne des ordres au commandant du Lady Ounca . Il ira à Spanish Wells chercher votre mari et son ami.
– Oh ! oui, merci, Pacal. Faites cela pour moi et pour lui, car vous êtes le seul à qui il m'aurait confiée. Voyez-vous, Pacal, si Michael ne fut jamais un véritable mari, puisqu'il donnait son amour aux garçons et, depuis longtemps, au gentil James, il était mon meilleur ami. Celui sur qui j'ai toujours compté. Il a su m'éviter, par la discrétion de ses mœurs, réputées contre nature, la moindre humiliation. Et il m'a sauvé la vie, confessa Lizzie, en larmes.
– Tous les rescapés conviennent qu'il s'est montré très courageux, lors du naufrage, renchérit Pacal.
– Dès que les cercueils seront ici, nous nous embarquerons, mon frère et moi, avec eux pour l'Europe. Michael a souvent dit qu'il voulait reposer en Angleterre, dans un cimetière de Londres, dont j'ai le nom quelque part. Sa mère, très âgée, vit encore. Elle n'a jamais soupçonné bien sûr, non plus que son défunt mari, le mode de vie d'un fils dont ils étaient très fiers. Ils m'ont parfois gentiment reproché de ne pas leur donner de petits-enfants. J'ai pris sur moi de dire que Michael avait eu la malchance d'épouser une femme stérile. Revoir la mère de mon mari et organiser ses funérailles sera une épreuve et je devrai aussi remettre le corps de leur fils aux parents de James Kevin, que je ne connais pas. Mais je ferai ce qui doit être fait.
Pacal, ému par la détermination de Liz, lui prit la main.
– À quel hôtel me conseillez-vous de descendre à Londres ? demanda-t-elle.
– Vous pourrez loger, avec votre frère, à Cornfield House, mon hôtel
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