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Un paradis perdu

Un paradis perdu

Titel: Un paradis perdu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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friandises arrosées de vin de Champagne. Susan, dont le tour de taille commençait à révéler l'état, confia, ce soir-là, à son mari le pronostic d'une épouse de pasteur, mère de cinq enfants.
     
    – À certains signes qu'elle connaît, elle assure que mon bébé sera un garçon, dit la jeune femme, radieuse, car elle ne souhaitait qu'offrir à Pacal le fils qu'il espérait.
     
    Comme à chacun de ses séjours en Nouvelle-Angleterre, lord Pacal s'amusa des manières, des tics et tabous d'une société où, sans le vouloir, ni même le percevoir, il se conduisait en visiteur, en invité, en étranger. Au Bahamien, la ville, de la rue au théâtre, des dîners aux promenades dominicales, sous les vieux ormes de Beacon Street ou de Tremont Street, offrait un spectacle ininterrompu, opéra bouffe aux mille tableaux. Calèches attelées de beaux chevaux, cochers en livrée et chapeaux à cocarde, visages de femmes que l'on voulait croire beaux, sous l'anonymat des voilettes, processions d'adolescentes en sortie de pensionnat, mains cachées dans des manchons de petit-gris, posant sur les hommes des regards effrontés, guettant l'œillade, s'esclaffant, moqueuses, après l'avoir obtenue, et se retournant pour jouir encore d'un pouvoir de séduction en friche. Combien eût donné Pacal pour entendre les conversations de dortoir de ces vierges, tourmentées par d'inavouables désirs !
     
    Au Puritan Club ou à l'Algonquin, il observait à la dérobée des parvenus somnolents dans leur fauteuil, The Globe ouvert sur leurs genoux, à la page de la Bourse. Faciès rubicond, cendreux ou apathique, ces bourgeois américains n'avaient, fortune faite, plus rien à prouver ni à conquérir. Usés par les affaires comme de vieux gants, ils avaient marié leurs filles, épongé les dettes de leurs fils, fait établir des arbres généalogiques plus édifiants qu'exacts et se plaisaient à imaginer leur nécrologie dans Atlantic Monthly , hommage dû aux philanthropes ayant fait un legs à Harvard University.
     
    Après les chutes de neige, les cantonniers noirs, repoussant la blancheur fondante dans les caniveaux, les petits livreurs de lait, trottant d'un perron l'autre, mordus par la bise du petit matin, les vendeuses de pralines, aux mitaines poisseuses de sucre, les marchands de marrons, tisonnant leur brasero, les cochers de fiacres, engoncés dans leur houppelande, restituaient la vraie vie, dans un monde où tout paraissait convenu et figé.
     
    Pacal rentrait, une fin d'après-midi, avec un cornet de papier-journal contenant des marrons encore brûlants, quand Susan l'accueillit, la mine défaite. Elle attendit qu'il eût ôté son manteau pour lui prendre la main.
     
    – Mon chéri, il va vous falloir être courageux et confiant en Notre Seigneur. On vient d'apporter ce télégramme, expédié de Nassau. Je l'ai lu. C'est une affreuse nouvelle, acheva-t-elle, d'une voix blanche, avant de remettre la dépêche.
     
    Pacal s'en saisit et lut : « Charles Desteyrac décédé accidentellement. Attendons pour funérailles. Lewis Colson. »
     
    Le laconisme même du message ajoutait à la tragédie et Pacal, abasourdi, ferma les yeux, les maxillaires serrés. Il eût voulu douter de l'irruption de la mort et n'entendit pas les paroles de consolation prodiguées par Susan. Que Dieu eût voulu qu'il en fût ainsi, comme elle le répéta, ne l'incitait pas à la soumission. La supposée volonté du Tout-Puissant n'était qu'échappatoire puritaine, pour convaincre que Dieu, bon par définition, ne pouvait être injuste, et que chacun devait accepter son sort, sans en contester les vicissitudes.
     
    Tandis que Susan, désemparée par l'attitude de celui qui refusait tout apitoiement, se laissait aller dans un fauteuil en pleurant, Pacal envoya un valet au port, demander à John Maitland de mettre les chaudières du Lady Ounca sous pression.
     
    – Je pars sur-le-champ pour Soledad, annonça-t-il.
     
    – Je devrais vous accompagner, risqua timidement Susan.
     
    – Vous devriez en effet, mais étant donné votre état, vous êtes dispensée de ce devoir. Vous portez la vie, Susan ; je dois obéir à la mort.
     
    C'est en toilette de deuil que Susan accompagna son mari jusqu'au Lady Ounca , dont la cheminée exhalait déjà un panache gris.
     
    – Je ferai dire l'office des morts, à Trinity Church, par notre évêque. Et votre père sera désormais dans toutes mes prières, dit-elle.
     
    À bord,

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