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Un paradis perdu

Un paradis perdu

Titel: Un paradis perdu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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voir une dernière fois le visage du père.
     
    – Ses amis, les Arawak, l'ont embaumé, comme s'il s'agissait d'un des leurs, dit-elle en faisant signe à Lewis Colson et à Timbo de découvrir le corps.
     
    Pacal vit son père tel qu'il l'avait admiré enfant, les jours de fête, dans son costume de lin blanc, cravaté d'un nœud de velours châtaigne. Sur le visage, aucune trace de souffrance ou d'angoisse, mais ce haussement de sourcils qui, chez le Français, avait toujours traduit de façon silencieuse la stupéfaction. « C'est avec étonnement que mon père a quitté la vie », se dit Pacal. Il remarqua, posée sur la poitrine du mort, une branche de yucca, l'arbre sacré des Arawak.
     
    – Palako-Mata l'a mise là, murmura Ottilia, avant que Pacal ne fasse signe à Colson et à Timbo de clore la bière.
     
    Laissant Lewis près de la veuve, le lord se fit conduire chez lui, à Cornfield Manor. En chemin, Timbo, dont le chagrin rendait l'élocution difficile, essuya ses yeux d'un revers de manche.
     
    – J'ai pas quitté mossu Dest'ac – l'Arawak n'avait jamais pu énoncer correctement le nom de l'ingénieur –, depuis qu'il est venu, en 1853. Y m'a appris beaucoup que je sais. Les manières françaises, les mots français. J'ai jamais connu un qui travaille tant. Y savait tout, mossu Cha'les ! C'était un v'ai gentleman, vot' papa, my lord , comme c'était une bonne lady, vot' maman, m'ame Ounca Lou. Et Mossu l'Ingénieu', il a fait un bon mari pour lady Ottilia, quand il a été tout seul, après l'accident du pont et que sir Malcolm est mort aussi. Lady Ottilia, elle aime vot' papa à la folie, my lord . Faudra voi' qu'elle se laisse pas mouri'. M'ame Gladys dit qu'elle a pas mangé, que du thé et des cookies, depuis que vot' papa est pâ'ti, acheva l'Arawak en arrêtant la calèche devant le manoir.
     
    Après avoir reçu de Violet et de son mari, Matthieu Ramírez, les condoléances d'usage, lord Pacal s'enferma dans son cabinet de travail. Il ressentait l'urgent besoin d'être seul, pour penser à son père et agiter le vague remords de ne pas l'avoir assez aimé, quand il en était temps. Même si, ces dernières années, leur complicité avait été sans faille, il avait parfois, à travers une allusion, une réflexion, un commentaire, deviné que Charles Desteyrac s'était, certains jours, senti dépossédé de son fils, accaparé très jeune par lord Simon, alors soucieux de former à son image l'héritier tard venu. Même si, pour son éducation, père et grand-père s'étaient admirablement complétés, Pacal avait entendu dire, ici et là, qu'il tenait plus de son aïeul que de son père. Et, remords supplémentaire, depuis son accession aux responsabilités insulaires et aux affaires, il avait, nouveau lord, cultivé avec agrément une ressemblance qui faisait de lui un Cornfield plus qu'un Desteyrac.
     
    Avant d'aller dormir, cette nuit-là, lord Pacal se rendit au mausolée, dont il était seul à détenir la clef. La grille de fer forgé, dessinée autour des armes des Cornfield, eut, quand il la poussa, un grincement sarcastique, qui fit s'envoler dans un froissement velouté les chauve-souris, gardiennes du sanctuaire. Il ne s'attarda pas dans la salle de prière, dont une grande croix de bois noir constituait l'unique symbole religieux et descendit dans l'hypogée, où reposaient, depuis la fin du XVII e  siècle, les Cornfield de Soledad. Le faisceau jaune de la lampe éclaira la niche, creusée dans le calcaire corallien, où serait placé et muré le cercueil de son père. La tradition exigeait qu'il y eût toujours, dans la crypte, une niche vide, prête à accueillir le prochain mort. C'est pourquoi, la veille d'une mise au tombeau, un autre alvéole était creusé. La mort ne prenait jamais les Cornfield au dépourvu !
     
    Avant de remonter, Pacal parcourut les inscriptions gravées sur les murs. Depuis George, le deuxième baronet jusqu'à son grand-père, Simon Leonard, le cinquième, le registre généalogique était sobrement tenu par les épitaphes. Le trépas prenait ainsi un aspect ordonné, rassurant, défi olympien à l'oubli et à l'usure du temps.
     

    Aucun prêtre catholique n'ayant encore accepté de succéder au père Taval, pour desservir la chapelle du mont de la Chèvre, Charles Desteyrac eut des funérailles anglicanes. Il s'en fût accommodé avec indifférence, ses croyances ne relevant d'aucune religion. Palako-Mata, en costume de

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