Un paradis perdu
Hozier, fille de sir Henry Montague Hozier et de lady Henriette Blanche Ogilvy. Appelé renégat par les lords, cet opportuniste de trente-quatre ans, petit-fils du célèbre duc de Marlborough, avait été un foudre de guerre, avant d'entrer en politique. Il avait combattu en Inde, en Égypte, en Afghanistan, au Soudan, en Afrique du Sud, tout en rédigeant des reportages pour les journaux. Bien que sa mère, Jennie Jerome, fille de l'éditeur du New York Times fût américaine, certains Américains reprochaient encore au ministre de Sa Très Gracieuse Majesté d'avoir fait, en 1895, le coup de feu avec les Espagnols, contre les révolutionnaires cubains que soutenait le gouvernement des États-Unis. Winston Churchill, qui venait de recevoir du roi Édouard VII, une canne incrustée d'ivoire, se riait de ceux qui le traitaient d'aventurier anglo-américain !
En France, où Pacal se rendit ensuite, on se souciait plus des escarmouches militaires au Maroc et des suites judiciaires de l'assassinat, dans la nuit du 30 au 31 mai, à Paris, impasse Ronsin, du peintre Adolphe Steinheil 8 et de sa belle-mère, que du transfert des cendres d'Émile Zola au Panthéon. Le Bahamien, toujours curieux, s'intéressa à la photographie en couleurs, récemment apparue dans L'Illustration , qu'il connaissait depuis l'enfance, son père y étant abonné. Il découvrit aussi, au cinématographe, une pièce de théâtre, le Retour d'Ulysse , saisie sur le vif par l'appareil des frères Auguste et Louis Lumière et restituée, sur une toile blanche, par un projecteur. Une industrie nouvelle était née de cette invention, dont on escomptait de gros profits.
Découvertes et rencontres faisaient régulièrement l'objet de lettres adressées à Estelle Miller, qui ne manquait jamais d'y répondre, posant des questions ou commentant des situations.
Alors qu'il s'embarquait au Havre pour les États-Unis, l'ornithologue lui annonça, par courrier rapide, qu'elle pourrait se rendre, au printemps 1909, à Soledad. « Si vous étiez toujours disposé à me recevoir, j'userais avec enthousiasme de votre invitation », écrivait-elle. Il répondit aussitôt, sans cacher l'impatience qu'il avait de la revoir. Depuis quelques mois, les oiseaux exotiques étaient passés au second plan dans les lettres d'Estelle. Pacal se plut à imaginer que les volières de John MacTrotter ne seraient que prétexte à une relation qui prenait de plus en plus tournure d'inclination réciproque.
À New York, Thomas Artcliff, ayant reçu les confidences de son ami, vit dans ce commerce avec une femme de quarante ans un flirt sans conséquence.
– Est-elle encore capable d'éveiller le désir… et de le satisfaire ? demanda Thomas.
– Elle l'est, je suppose, de corps et d'esprit, dit Pacal.
– Si cela peut te distraire, c'est une bonne chose. Mais méfie-toi, à cet âge, certaines femmes sont dans l'urgence de trouver un mari, si possible riche. En attendant, j'espère que ça ne t'empêche pas de célébrer, ce soir, notre petite fête habituelle. J'ai retenu une table au Delmonico's et deux demoiselles de bonne compagnie pour le dîner… et la nuit.
– Je suis, comme toi, célibataire et quinquagénaire à qui pèse parfois l'abstinence, concéda Pacal.
– Alors, allons au sabbat ! lança Artcliff.
Après une nuit voluptueuse, avec des jeunes femmes qui conjuguaient plaisir et profit, lord Pacal et l'architecte eurent une conversation sérieuse sur l'avenir de George, dont Artcliff était le parrain attentif.
– Il vient ici le plus souvent possible, pour les courtes vacances, quand Fanny accepte de le lâcher. Je l'initie à l'architecture et il y prend goût. Il étudie sérieusement et pourra entrer à Harvard sans difficulté, dans trois ans. Il faudra l'envoyer directement à notre bon vieux MIT, dont la School of Architecture fait autorité. Nous l'inciterons à suivre aussi le cours d'ingénieur, car l'acier prend une importance considérable, dans la construction des immeubles.
– Vos gratte-ciel poussent comme des champignons, observa Pacal.
– J'ai montré à ton fils les fondations de la Metropolitan Life Tower, siège d'une compagnie d'assurances sur la vie, pour qui nous allons construire, près de Madison Square, sur les plans de deux architectes français, Pierre et Michel Le Brun, le plus haut building jamais édifié. Il aura sept cents pieds de haut,
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