Un paradis perdu
des oiseaux, une solitude affective semblable à la sienne, s'était montré de plus en plus familier. Épistolière douée, la Louisianaise semblait apprécier une connivence d'où le badinage était exclu mais qui promettait, peut-être, une plus grande intimité. Après avoir, plusieurs fois, annoncé sa visite à Soledad, pour le printemps 1908, Estelle Miller dut l'annuler.
« Ma mère, dont je suis le seul soutien, souffre depuis longtemps d'une maladie dont les médecins ne cachent pas l'issue. Ces temps-ci, son état s'est aggravé et je ne puis la quitter. Je me faisais une joie de découvrir les pensionnaires des volières de Soledad, de converser avec John MacTrotter et, surtout, de vous revoir pour philosopher un brin. Je n'ose vous demander une nouvelle date, pour un séjour dont tout me laissait espérer qu'il serait plaisant. Avec mes regrets, acceptez, my lord – est-ce bien ainsi qu'on doit dire et écrire ? – mon meilleur souvenir. Estelle Miller. » « P. S. Cessez, je vous prie, de me donner du Mademoiselle. J'aurais plaisir à ce que vous écriviez tout simplement Estelle. »
Lord Pacal répondit aussitôt qu'Estelle serait toujours la bienvenue à Soledad.
« Je fais des vœux sincères, bien qu'un peu égoïstes, je dois l'avouer, pour le rétablissement de votre mère, car je m'étais habitué à l'heureuse perspective de vous recevoir à Cornfield Manor. Je me prépare à passer l'été en France, comme chaque année, avec deux séjours, à New York et à Boston, à l'aller et au retour. Accueillez, je vous prie, chère Estelle, mes pensées fidèles. » Il ajouta après sa signature, les adresses où sa correspondante pourrait lui écrire en Auvergne, à Londres et aux États-Unis.
À chacune de ses étapes européennes, lord Pacal trouva des messages d'Estelle, et c'est à Esteyrac qu'il apprit la mort de la mère de l'ornithologue.
« Elle s'est éteinte sans douleur, affrontant la mort avec la même dignité qu'elle a montrée au cours de son existence, qui ne fut pas exempte de malheurs et de déceptions. De cela, je vous parlerai peut-être un jour, car son passé fut, pour moi, lourd de conséquences. » Lord Pacal avait subodoré, sans raisons précises, que la vie d'Estelle Miller, célibataire qui n'avait rien d'une vieille fille, recélait un ou des mystères. Pour un esprit curieux des destinées humaines, cette interrogation ajoutait au charme de la Louisianaise.
Cette nouvelle relation ne détournait pas la pensée de Pacal du souvenir des femmes qu'il avait connues. Celui de Lizzie surtout. Il la revoyait, dans une posture familière, assise sur le canapé de son salon, enlaçant ses genoux relevés, les serrant contre elle, sans se soucier de ce que dévoilait le retroussis de sa robe et le couvant d'un regard intense, appel muet à l'étreinte. Car Liz, dénuée de préjugés, avait toujours eu le courage de ses envies. Aussi inconvenant que cela eût paru à des esprits conformistes, le souvenir de Susan, mère de ses enfants, ne subsistait pas avec la même netteté que celui de la défunte maîtresse. Quant à l'évocation du tragique destin de Viola, il s'efforçait de n'en retenir que l'image d'une brève initiation au plaisir charnel. D'autres femmes, qu'il appelait, comme Thomas Artcliff, intérimaires, avaient sombré dans le flou de sa mémoire.
Toutes ces pensées se teintaient, dans la solitude bucolique d'Esteyrac, d'une apaisante absolution. Les paysans auvergnats, d'un naturel circonspect, parmi lesquels il passait plusieurs mois d'été, ne manifestaient nulle curiosité à l'égard de son passé ou de sa vie privée. Seule Ninette, primesautière et innocemment impertinente, avait un jour émit l'idée, en vaquant aux soins du ménage, qu'une femme serait la bienvenue au château, où elle aurait fort à faire.
La réflexion avait amusé Pacal.
« Vous faites très bien tout ce qu'il faut faire, Ninette. » « Eh ! Eh ! Y'a bien une chose qu'une épouse fait et que je peux pas faire ! Pas vrai, Monsieur », s'était-elle esclaffée, avec un clin d'œil coquin.
En septembre, lors de son séjour à Londres, lord Pacal trouva politiciens et amateurs de mondanités enfiévrés par la perspective du mariage d'un ministre en exercice. Le 12 septembre, Winston Churchill, ministre du Commerce, aristocrate conservateur devenu libéral, épousa, à Saint Margaret de Westminster, Clémentine
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