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Un paradis perdu

Un paradis perdu

Titel: Un paradis perdu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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consciencieux et j'avais préparé une lettre pour vous demander de faire ajouter mon nom et mes dates, sur la tombe de Dorothy. Nous ne croyions ni l'un ni l'autre à la résurrection des corps. Seules, les âmes ont peut-être une chance de s'unir dans l'éternité.
     
    – En attendant de satisfaire vos volontés dernières, je compte sur vous pour le dîner du Nouvel An. Dites-vous que, médecin, vous avez encore une tâche à accomplir sur notre île. Votre contrat, cher Albert, n'est pas venu à terme, dit Pacal, sans plus d'apitoiement.
     
    Le 1 er  janvier 1908, alors qu'avant de passer à table les invités de lord Pacal étaient réunis pour le cocktail, servi dans le grand salon, l'entrée d'Albert Weston Clarke suscita une telle gêne que les conversations s'interrompirent. Le médecin en dinner-jacket , comme tous les hommes, portait une étole de soie à paillettes, que tous avaient souvent vue sur Dorothy, les soirs de réception.
     
    – Vous voilà bien élégant, docteur, dit Myra Maitland, pour rompre le silence.
     
    – Je suis devenu frileux… et puis, cette soie garde encore le parfum de ma Dorothy. Ne le reconnaissez-vous pas ? demanda-t-il en mettant sous le nez de Myra un pan de l'étole.
     
    – En effet, je reconnais ce parfum, dit Myra, de plus en plus confuse.
     
    Pacal fit signe à Timbo d'annoncer le protocolaire « Sa Seigneurie est servie », pour entraîner ses invités vers la salle à manger.
     
    Avant de s'asseoir devant son couvert, Albert Weston Clarke s'inclina vers le maître de maison.
     
    – Mon cher lord Pacal, vous voudrez bien excuser l'absence de ma femme. Depuis plus de trente ans, elle n'a jamais manqué le dîner de Nouvel An, à Cornfield Manor, mais, aujourd'hui, elle n'a pu m'accompagner, acheva-t-il.
     
    – Nous pensons tous à elle, cher ami, lança le pasteur Russell.
     
    L'appétit du médecin et ses propos, d'une parfaite lucidité, rassurèrent les convives et, à l'heure des cigares et du porto, Weston Clarke disserta avec assurance sur la situation des réfugiés cubains.
     
    – La conduite de notre ami Weston Clarke a paru assez insolite, observa Lewis Colson, quand le médecin se fut retiré.
     
    – Il a tenté de se noyer, la semaine dernière, rappela Pacal.
     
    – Les intermittences du chagrin sont déroutantes, commenta Michael Russell en prenant congé.
     
    Le lendemain, lord Pacal se mettait en selle pour sa chevauchée matinale quand le vieux Timbo, très ému, le rejoignit en claudicant.
     
    –  My lord ! my lord ! le do'teu' Weston Clarke s'est pendu dans son hangar à voitures. C'est le jardinier qui l'a trouvé.
     
    – Prends le boghei, va chercher le docteur Ramírez et amène-le chez Weston Clarke, ordonna lord Pacal, avant de s'élancer, au galop, vers la demeure du médecin.
     
    Autour du corps suspendu à une poutre, la cuisinière, le valet du mort et des voisins se lamentaient, ne sachant que faire. Pacal remarqua, aussitôt, que le médecin s'était pendu avec l'étole de Dorothy, torsadée comme une corde. Il se hissa sur un tabouret, tira son couteau de chasse, trancha le lien de soie. Le valet et le jardinier reçurent dans leurs bras le mort, au visage déjà bleui.
     
    – Portez-le sur son lit, ordonna Pacal, sachant qu'aucun soin ne rappellerait Albert Weston Clarke à la vie.
     
    Le médecin avait laissé un billet laconique, à l'intention du maître de Soledad.
     
    « Lord Pacal, mettez-moi près de Dorothy. Brûlez ce qui nous a appartenu, et que tous, ici et ailleurs, nous oublient. Adieu. »
     
    – Amertume post mortem  ! commenta Pacal.
     
    Luc Ramírez ne put que constater le décès et Albert Weston Clarke rejoignit, dans la tombe creusée à même le calcaire corallien, la compagne de toute une vie. On ajouta son nom sur la stèle de Dorothy et lord Pacal y fit graver deux vers antiques :
     

    Ô étranger, va-t'en dire à Lacédémone
    Qu'ici nous sommes morts fidèles à ses lois 7 .
     

    Ceux et celles qui connaissaient le douloureux passé du médecin n'hésitèrent pas à remplacer Lacédémone par Angleterre.
     

    Depuis la réunion de la National Audubon Society à Nassau, lord Pacal entretenait une correspondance avec Estelle Miller, l'ornithologue de New Orleans. Au fil du temps, leurs lettres avaient largement débordé les thèmes naturalistes pour des considérations plus personnelles. Lord Pacal, ayant deviné qu'Estelle dissimulait, sous sa passion

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