Un paradis perdu
Rodney.
Un murmure admiratif ponctua cette indiscrétion.
Enthousiasme, pronostics et paris se révélèrent vains quand on apprit, le 5 août, par une dépêche officielle de Londres au gouverneur des Bahamas, sir George Haddon-Smith, que la Grande-Bretagne et, partant, son Empire étaient, depuis la veille, en guerre contre l'Allemagne.
Alors que s'annonçaient les premiers orages tropicaux, on sut par The Nassau Guardian que, le 28 juillet, l'Autriche, pour venger l'assassinat de François-Ferdinand, avait déclaré la guerre à la Serbie, avec l'accord de l'Allemagne ; que les nations européennes ayant réagi, l'Allemagne avait déclaré la guerre à la Russie, le 1 er août, puis à la France, le 3 août, et que le gouvernement de Sa Très Gracieuse Majesté le roi George V, outré par l'irruption des troupes allemandes en Belgique, avait décidé d'entrer, à son tour, dans un conflit qui menaçait d'embraser toute l'Europe.
Les journaux américains rapportèrent bientôt que le Shamrock IV , surpris par la nouvelle en pleine traversée de l'Atlantique, avait dû, dans un premier temps, chercher refuge aux Bermudes, pour éviter les sous-marins allemands, déjà en chasse dans l'Océan. Le voilier de sir Lipton était maintenant à l'abri, à Brooklyn, mais le défi tant espéré était annulé 1 .
Au cours des jours qui suivirent, The Nassau Guardian et son concurrent, Nassau Daily Tribune , publièrent des messages patriotiques invitant les Bahamiens à participer à l'effort de guerre. Devant la General Assembly , le gouverneur Haddon-Smith proclama l'état d'urgence et annonça la création d'un War Relief Committee . La législature vota, sur-le-champ, une contribution de dix mille livres sterling, pour aider le gouvernement impérial à faire face aux dépenses engendrées par le conflit.
En septembre, deux cent vingt-cinq marins, pêcheurs d'éponges, se portèrent volontaires pour prendre du service dans la Royal Navy, tandis que le British West Indies Regiment , dissous en 1891, était reconstitué, pour entraîner deux mille cinq cents hommes.
À Soledad, on commençait à s'inquiéter du sort de lord Pacal. Celui-ci, qui passait comme chaque année l'été en France, avait annoncé son retour imminent, dès le début du conflit. Or, les sous-marins allemands, apparus dans les eaux de l'Atlantique Nord, constituaient un danger pour les navires de commerce sans défense. De Boston et de New York, George et Martha demandaient, plusieurs fois par semaine, des nouvelles de leur père. On ne fut rassuré que le jour de septembre où l'on sut, à Soledad, que lord Pacal était arrivé aux États-Unis.
– Il fait la fête à New York, avec sa fille, son fils et son ami Artcliff. Je vais, la semaine prochaine, l'accueillir à Nassau avec le Lady Ounca , dit John Maitland aux membres du Loyalists Club, à l'heure du pink gin .
Dès son arrivée à Cornfield Manor, Pacal fut pressé de questions par les intimes. Tous voulaient savoir comment la France et l'Angleterre étaient entrées en guerre.
– À Esteyrac, dès l'ordre de mobilisation affiché à la mairie, j'ai vu les garçons partir joyeux pour Issoire, disant qu'ils allaient donner une leçon aux Prussiens et reconquérir l'Alsace et la Lorraine, enlevées à la France après la guerre de 1870. « Nous serons rentrés pour Noël », assuraient-ils. Les mères et les épouses paraissaient moins confiantes, depuis que les journaux avaient publié la photographie du premier mort de la guerre, le caporal André Peugeot, tué par une patrouille allemande, entrée en territoire français le 2 août, alors que la guerre n'était pas encore officiellement déclarée. Je crains que les alliés ne se fassent des illusions sur la durée de ce conflit, qui intéresse toute l'Europe. Ces illusions ont, d'ailleurs, commencé à se dissiper quand les armées allemandes ont pénétré en France, envahi la Belgique et occupé Bruxelles. Nos croiseurs de la Royal Navy ont déjà souffert des attaques des sous-marins allemands. L' Amphion a été le premier coulé, dans la Manche, développa lord Pacal.
À Soledad, la guerre eut pour première conséquence de priver la flotte Cornfield de plusieurs de ses officiers et marins. Gilles Artwood, Anthony MacLay, Edward Carrington, Joseph Balmer rejoignirent la Royal Navy, ainsi que plusieurs quartiers-maîtres. Les autres officiers, comme Maitland et Rodney,
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