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Un paradis perdu

Un paradis perdu

Titel: Un paradis perdu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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laquelle se terrait, comme honteuse, l'épave du château d'Esteyrac.
     
    – On dit qu'au XVIII e siècle, cette place était comprise dans le domaine, commenta Charles.
     
    Ils traversèrent l'esplanade, en direction d'une grille, dont les vantaux rouillés, qu'on ne manœuvrait plus depuis des décennies, semblaient avoir pris racine de part et d'autre du chemin. Dès que la berline eut franchi cette clôture inutile, le bruit des roues sur un chemin creusé d'ornières fit apparaître un gros chien hargneux. Ils avancèrent entre des champs récemment labourés, autrefois jardin à la française aux allées de fin gravier, bien tracées autour de massifs de fleurs. Accompagnée par le bâtard furieux, la voiture contourna un bassin circulaire, peuplé de nymphes décapitées par les révolutionnaires ruraux et qui, au temps des barons auvergnats, versaient l'eau d'amphores qu'elles portaient sur l'épaule. Des baigneuses, ne subsistaient que le torse martyrisé. Des vases brisés, s'écoulaient de minces filets d'eau convulsifs. Les bestiaux s'abreuvaient au bain des potamides.
     
    En fait de château, il ne s'agissait que d'une longue bâtisse flanquée de deux annexes. Les fenêtres à fins meneaux et les fenestrelles sous toit du corps principal, à un seul étage élevé et murs épais, renvoyaient au commencement du XVII e siècle, l'époque de la construction. Des cheminées trapues, décorées de motifs géométriques en brique, émergeaient d'une toiture à deux pentes, couverte de platin de lave. Les balustres de joncs de fer fleuronnés du modeste escalier, à double révolution mais aux marches ébréchées, avaient disparu depuis longtemps, sans doute vendues à des ferrailleurs d'Issoire ou de Clermont.
     
    De l'aile gauche transformée en étable sortit, le sourcil froncé, l'actuel propriétaire du lieu, un paysan courtaud, massif et lourd, vêtu d'un pantalon de bure et d'un bourgeron de toile bleue. Pacal fit observer à Ottilia que l'Auvergnat portait la même moustache épaisse, aux pointes tombantes, qu'on voyait aux effigies de Vercingétorix, exposées chez les marchands de souvenirs, à cinq lieux autour de Gergovie.
     
    Quand l'homme eut rappelé son chien, Charles se présenta comme descendant des châtelains d'autrefois. Le paysan se dit fort étonné qu'il existât encore un Esteyrac sur cette terre.
     
    – De mémoire de villageois, on n'en a jamais vu dans le pays, dit-il, incrédule.
     
    L'ingénieur ne perdit pas de temps en démonstration généalogique et demanda simplement à jeter un coup d'œil, avec sa femme et son fils, sur ce qui avait été le berceau de sa famille paternelle, avant que Le Peletier de Saint-Fargeau 2 , et non Maximilien de Robespierre, comme on l'a souvent dit, n'exigeât la suppression des particules nobiliaires et ne les accolât au nom, faisant ainsi Desteyrac de d'Esteyrac.
     
    – Et, d'où c'est donc que vous venez ? s'enquit le paysan, qui avait entendu Pacal et Ottilia parler une langue étrangère.
     
    – Nous venons des îles Bahamas. C'est une colonie anglaise.
     
    Devant l'incompréhension manifeste de son interlocuteur, il précisa :
     
     »Les Bahamas se trouvent dans l'océan Atlantique, entre la Floride, au sud des États-Unis, et l'île de Cuba, vous voyez ?
     
    – Oui, oui. Y'a un gars du village qui navigue sur un bananier. Il nous a parlé de Cuba et nous l'a montré sur un livre de géographie. Ben, dites donc, c'est pas la porte à côté, ça !
     
    – Nous sommes venus visiter l'Auvergne et je veux montrer à mon fils le château qui porte notre nom.
     
    – Et qu'est-ce que vous voulez voir ? C'est plus un château, mon bon monsieur. Depuis la grande révolution de 1789, c'est une ferme. Elle a été achetée par mon père à une veuve d'éleveur, qui voulait la vendre au département. Avant la guerre de 70, un docteur d'Issoire voulait en faire un hospice pour les fous. Les gens du village, y voulaient pas des fous chez nous. Alors, mon père, qu'était maire du pays, a dit : « Moi, j'achète. » Et moi, j'ai pris sa suite, ici et à la mairie. J'ai trois cents hectares et soixante-dix vaches, des Salers et des Aubrac, qu'on envoie l'été à la montagne. Je suis la plus grosse ferme du pays.
     
    – Félicitations, dit Charles.
     
    Pendant l'entretien, Ottilia et Pacal étaient descendus de voiture.
     
    Le fermier, visiblement impressionné par la beauté et l'élégance d'Ottilia, ôta son

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