Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Un paradis perdu

Un paradis perdu

Titel: Un paradis perdu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
Vom Netzwerk:
atelier de photographie, tenu par les frères Bisson. Les repas, dont les Bahamiens se montrèrent incapables de venir à bout, tant ils étaient copieux, coûtaient sept francs, prix que Charles trouva élevé.
     
    Si Londres avait enthousiasmé Pacal par son organisation urbaine et l'activité appliquée, méthodique de ses habitants, Paris le séduisit par son charme, le souci d'élégance, partout perceptible, et l'aimable désinvolture d'un peuple revenu de toutes les révolutions. De l'église de la Madeleine à Notre-Dame, de la place Vendôme à la Sorbonne, des Champs-Élysées aux Grands Boulevards, du Champ-de-Mars à l'Hôtel de Ville, restauré après les destructions de la Commune, tout lui plut, même les salons de Charles Worth chez qui, rue de la Paix, il accompagna Ottilia pour des essayages.
     
    Poussés par le désir de voir les plus récentes applications des sciences et de l'industrie, Charles et Pacal entraînèrent Ottilia à l'Exposition universelle, organisée cette année-là, depuis le mois de mai, sur les deux rives de la Seine, du parc du Trocadéro au Champ-de-Mars. Ils virent des machines-outils, propres à réduire les efforts musculaires des ouvriers, des appareils permettant « la production artificielle du froid », des tabacs du monde entier, les dernières trouvailles des opticiens. Pacal écouta longtemps un virtuose jouer le grand orgue du palais du Trocadéro en pensant que son grand-père eût été séduit par un tel instrument.
     
    Ottilia s'intéressa à une rétrospective des arts, où peinture et sculpture avaient leur place et, plus encore, dans le pavillon britannique, aux bijoux que Sa Très Gracieuse Majesté la reine Victoria avait laissé sortir de la tour de Wakefield, où sont conservés les joyaux de la Couronne. Le diadème royal, de quatre-vingt-six brillants entourant le Koh-I-Noor, un diamant de deux cent soixante-dix-neuf carats, dérobé par les Anglais au rajah de Lahore au cours de la conquête du Pendjab, en 1849, allumait la convoitise dans le regard des visiteuses.
     
    Pacal nota, à l'intention de lord Simon, ancien officier de l'armée des Indes, une statistique étonnante. Au cours de l'année 1876, les Anglais avait tué, dans cette colonie, 23 459 tigres, éléphants et léopards. Dans le même temps, 15 916 personnes avaient succombé à des morsures de serpent !
     
    Un soir, après une représentation de la Traviata , l'opéra de Verdi, au Théâtre des Italiens, Pacal sortit amoureux d'Emma Albani, dite La Jeunesse 1 , qui avait été bouleversante dans le rôle de Violetta.
     
    – Sais-tu que traviata signifie débauchée ? Ce qu'est d'ailleurs cette belle, malade de la poitrine, dit Charles, étonné par l'exaltation inhabituelle de son fils.
     
    – L'opéra a été inspiré à Verdi par un roman d'Alexandre Dumas fils, la Dame aux Camélias , lui-même inspiré à l'auteur par Alphonsine Plessis, une grisette devenue courtisane, morte à vingt-trois ans de la phtisie, précisa Albert Fouquet qui, ce soir-là, accompagnait les Desteyrac.
     
    – Je voudrais lire ce livre. Cette femme cache son cœur jusqu'à en mourir, j'en suis sûr, dit Pacal, songeur.
     
    – L'amour et la mort vont parfois du même pas, dit Ottilia.
     
    – Assez d'apitoiement sur une courtisane de théâtre ! Allons souper chez Vefour, coupa Charles.
     
    Le lendemain, Pacal trouva dans sa chambre le roman de Dumas fils. Il le lut d'un trait, la nuit suivante, et fut convaincu, pensant aux avances à peine masquées de Jane Kelscott, que, conquérir une courtisane, « qui aime par métier non par entraînement », doit être une entreprise bien plus excitante et autrement difficile que séduire une prude fille de lord. Mais une telle aventure demi-mondaine ne pouvait être tentée qu'à Paris, reconnut-il.
     
    Vint le moment où Charles Desteyrac décida de conduire Otti et Pacal à sa mère, retirée chez les sœurs de Saint-André, communauté religieuse de la rue de Sèvres.
     
    Brandissant, d'une main décharnée et tremblante, son face-à-main, Mme de Saint-Forin, petite femme d'une fragilité de verre filé, n'eût sans doute pas reconnu son fils si elle n'avait été prévenue, la veille, de sa visite.
     
    Un quart de siècle s'était écoulé depuis que Charles avait quitté la France pour les Bahamas. Sa mère avait maintenant des cheveux blancs, lui des cheveux gris. Valentine de Saint-Forin trouva à son fils, et le dit, « un air

Weitere Kostenlose Bücher