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Un paradis perdu

Un paradis perdu

Titel: Un paradis perdu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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grognement des porcs et le caquètement des poules. L'aile gauche, dont les fenêtres avaient été murées, servait d'étable, sous la grange à fourrage. En passant devant l'ancienne orangerie, qui montrait les vestiges d'un beau dallage, ils virent une charrette, une grande bétaillère et une petite voiture à deux places.
     
    – À nous, ça nous suffit bien, pour aller à la ville. Eh voilà ! conclut le fermier, signifiant ainsi que la visite était terminée.
     
    Comme Charles faisait signe à son cocher d'avancer la berline, le paysan s'empressa de souhaiter bonne route aux voyageurs.
     
    Si les Bahamiens s'étaient attendu à être invités à pénétrer dans le foyer de leur hôte et à boire, ne fût-ce qu'un verre d'eau, ils eussent été déçus. Le fermier, comme beaucoup d'Auvergnats, était économe, veillait à emplir son bas de laine, se méfiait de qui venait de loin. Sa femme n'eût pas mis la « débelloise » au feu pour chauffer un café clairet, pas plus qu'il n'eût tiré du buffet la carafe de marc ou d'alcool de prune, pour des inconnus de passage.
     
    Après cette brève intrusion dans le domaine, tous trois se rendirent au cimetière du village et trouvèrent aisément le tombeau qu'ils cherchaient : une large dalle en dos d'âne, de pierre volcanique grumelée de lichen. Ici reposait, près des seigneurs d'Esteyrac, ensevelis dès le XVI e siècle, le père de Charles. De ses lointains ancêtres, l'ingénieur ne savait rien et s'étonnait encore que son père, qu'il n'avait pas connu – il était âgé d'un an au moment de sa mort –, eût été, par la pieuse volonté de quelques amis et avec le consentement d'une veuve désargentée, inhumé dans un village perdu où le défunt ne possédait aucune attache autre que nominale.
     
    Une stèle, usée par les intempéries, portait une liste de noms à demi effacés. Le dernier, gravé et passé au noir, était encore lisible : Alexandre Matthieu Desteyrac 1798-1830.
     
    – Ton grand-père paternel, dit Charles, quand son fils déchiffra l'inscription.
     
    Une telle sépulture ne nécessitait aucun entretien. Les pluies en assuraient le lavage et la municipalité faisait chaque automne, à la veille de la Toussaint, désherber entre les tombes.
     
    Charles crut bon, cependant, de glisser un louis au fossoyeur occupé à creuser une tombe, pour qu'il donnât un coup de brosse métallique à la pierre, afin d'en ôter la mousse qui la verdissait.
     
    Au cours de cette journée de pèlerinage, Pacal, peu bavard, n'avait fait qu'observer et écouter. Dans la berline qui reconduisait les voyageurs à Issoire, il s'étonna que son père n'eût jamais manifesté grand intérêt pour le domaine et la demeure où avaient vécu ses aïeux.
     
    – Depuis trois générations, les Desteyrac vivaient à Paris. Mon père, pas plus que le sien, d'après ce que m'a dit ma mère, n'attachait d'importance à sa généalogie. Tous deux, médecins, vivaient dans le présent, tous deux, républicains convaincus, se souciaient peu d'un lignage aristocratique. J'ai suivi leur exemple et je n'aurais sans doute jamais revu Esteyrac si je ne m'étais engagé à vous le montrer. Mais, à ce que nous avons vu aujourd'hui, je me sens étranger. Bien que j'aie passé quelques années sur les bancs de l'école de Marcenat, à dix kilomètres d'Esteyrac, dit Charles.
     
    – Eh bien, moi, père, je ne suis pas indifférent à ce que j'ai vu. J'ai imaginé la vie de vos ancêtres, dans ce château. Comme j'aurais voulu connaître la façon dont ils passaient leurs journées, suivre leurs parties de chasse, voir un bœuf entier rôtir dans la cheminée, caresser les statues du bassin alors dans leur beauté, marcher sur les allées du jardin ! À Esteyrac, j'ai brusquement acquis le sens du passé. Oui, c'est cela ! J'ai maintenant le sens du passé.
     
    – Tu es un romantique, dit Charles, amusé.
     
    – Romantique, sensible et plein d'une saine curiosité, renchérit Ottilia.
     
    – Peut-être suis-je romantique et curieux, mais, pendant que nous visitions cette demeure transformée en ferme, sans ordre ni propreté – les fermes de Nouvelle-Angleterre, c'est autre chose ! –, j'avais mal, oui, père, j'avais mal à l'esprit et au cœur. Bien que souillé, dégradé et profané, oui, profané, souligna-t-il, par une succession de paysans ignares et rustauds, ce lieu conserve une noblesse captive. Voilà ce que j'ai ressenti et je

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