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Un paradis perdu

Un paradis perdu

Titel: Un paradis perdu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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ses yeux en amande suscitaient des curiosités qu'il eût été désobligeant d'exprimer, entre gens de connaissance, autrement que par des échanges de regards subreptices. Habitué à éveiller semblable interrogation muette, Pacal ne s'en souciait plus et affichait un sourire d'une parfaite neutralité.
     
    À l'apparition des Kelscott, accompagnés de lady Jane, leur plus jeune fille, Ottilia et Pacal esquissèrent le même sourire.
     
    – Après la rencontre d'Epsom, c'est un coup de grand-père, souffla le jeune homme à sa belle-mère.
     
    – Certes. Mon père aime à se divertir en créant ce genre de situation, humour de sa façon.
     
    – Ce n'est pas très charitable, dit Pacal, contraint de ne pas en dire plus.
     
    Jane venait à lui, gracieuse, intimidée, un peu gauche. Elle était au mieux de la joliesse qui lui tenait lieu de beauté. Une robe nacarat ouvrait sur un décolleté en pointe, barré d'une guimpe de dentelle blanche, ce que regretta Pacal, car de petits seins pommés ne souhaitaient que se montrer davantage. Après les banalités d'usage, il conduisit la jeune fille au buffet, lui fit servir une coupe de champagne avant qu'ils ne sacrifient au rite des vœux.
     
    – Que l'année nouvelle voie la réalisation de vos plus secrets désirs, dit-il.
     
    – Et moi, je souhaite que Neptune veille sur votre navire pendant la traversée vers les Bahamas, dont la seule pensée m'effraie, dit la jeune fille.
     
    – Rien d'effrayant, je vous assure. Le Phoenix II est un vapeur très sûr, nous avons un excellent équipage… et une forte assurance aux Lloyd's, dit Pacal.
     
    Elle le fit ensuite parler, comme quelques mois plus tôt à Epsom, de la vie en Amérique, où les Kelscott comptaient plusieurs cousins.
     
    – Comment sont les jeunes filles américaines ? On les dit très libres, sortant sans chapeau ni chaperon, pratiquant les mêmes jeux que les garçons.
     
    – Elles sont souvent jolies, de santé robuste, pleines d'assurance. Elles montent à cheval, nagent, canotent, patinent, jouent du piano, conduisent leur dog-cart. Certaines apprennent l'italien ou le français, suivent des cours de sciences ou de littérature et presque toutes font de la gymnastique à cinquante dollars le mois.
     
    – De la gymnastique ?
     
    – Pour affiner leur taille, ce que vous n'avez pas besoin de faire, dit Pacal, décidé à ne pas décevoir.
     
    Comme il s'y attendait, Jane rougit, baissa les yeux et savoura le compliment. Une gorgée de champagne l'aida à dominer son trouble.
     
    – On dit aussi que les jeunes filles de New York sortent librement avec des garçons sans être fiancées, et même que certaines se laissent embrasser. Là-bas, maintenant, on appelle ça le flirt, n'est-ce pas ?
     
    – Le mot est anglais et à la mode depuis peu, mais la pratique est universelle, mademoiselle.
     
    Comme Jane se taisait, Pacal compléta son information.
     
    – Aux États-Unis, la pratique du flirt ne tire pas à conséquence. Tous les étudiants de quatrième année ont une girlfriend avec qui ils jouent au tennis, font du canotage, des promenades et vont danser. Il n'est pas rare que garçons et filles aillent camper ensemble dans les montagnes. L'éducation puritaine des deux sexes est telle qu'il ne se passe jamais rien de répréhensible. Mais détrompez-vous, le baiser, même chaste, n'est pas toléré, et la loi protège les demoiselles qui en seraient victimes. Ainsi, à Boston, un homme, qui avait embrassé par surprise une serveuse irlandaise, a été condamné à deux cents dollars d'amende. C'est payer cher un baiser !
     
    – Chez nous, tout baiser engage, monsieur.
     
    – C'est bien pourquoi on ne doit pas en donner de manière irréfléchie, souligna Pacal, malicieux.
     
    Lord James et lady Olivia approchant, la conversation tourna court. Au fait des ascendances françaises de Pacal, le père de Jane prit un ton confidentiel.
     
    – Savez-vous que l'hôtel voisin de la belle demeure où nous sommes, le numéro 35 de Belgravia Square, est un lieu de pèlerinage pour les royalistes français ? Cette maison a été autrefois habitée par le comte de Chambord, prétendant au trône de France sous le nom d'Henri V. Après une de vos révolutions, le comte a proposé l'établissement d'une monarchie dans le genre de la nôtre. Mais les Français, bien sûr, ont préféré la république, expliqua lord James.
     
    – Dieu protège la reine et

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