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Un vent d'acier

Un vent d'acier

Titel: Un vent d'acier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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condamner un sixième. Les prisonniers, sur les charrettes que le compère Lunettes et le Père Duchesne tulliste avaient fait ranger autour de l’échafaud, virent le réfractaire, sortant des geôles de l’ancien présidial, les cheveux coupés, la chemise échancrée, les mains liées derrière le dos, gravir la dure pente de la ruelle Monte-à-Regret. Un instant plus tard, il était sur la plate-forme, sous leurs yeux. Les aides l’attachèrent à la planche qui bascula, le couteau s’abattit, la tête sauta, survie d’un panache rouge, et l’affreuse odeur du sang se répandit.
    « À qui le tour ? demanda le bourreau en s’avançant vers les charrettes. Lesquels faut-il prendre ?
    — Tous ! Raccourcis-les tous ! lui criait la populace.
    — Y en a trop ! protesta-t-il. Pour ce soir, j’en expédierai cinq ou six. Choisissez-les ! »
    On fit durer encore un moment la comédie, puis, comme le soir s’enténébrait, les malheureux furent conduits à la maison de détention où ils se trouvèrent finalement beaucoup mieux traités et beaucoup plus en sécurité qu’à Tulle. De même pour les Limougeauds transportés en Corrèze. Par ses démonstrations de férocité, Guillaume Dulimbert les avait, en fait, soustraits, les uns et les autres, aux haines locales. Du même coup, l’ancien moine s’était acquis une réputation de montagnard enragé : réputation dont il avait grand besoin pour tenir tête aux attaques de Préat, Frègebois et leurs amis.
    Devenus les maîtres de Limoges, par le moyen de la Société populaire sur laquelle ils régnaient en terrorisant les vieux Jacobins, ils exerçaient leur dictature sur le Comité de Surveillance – successeur du Comité de Salut public – établi dans l’hôtel Naurissane, et sur le tribunal criminel dont ils avaient chassé Pierre Dumas. Il était en prison, avec presque tous les anciens amis de la Paix, les anciens députés aux États généraux et à la Constituante : Montaudon, M. de Reilhac, et enfin nombre de Jacobins de la première heure. Les fondateurs mêmes du club : Nicaut, Pinchaud, Barbou, demeuraient encore en liberté mais la sentaient des plus précaires et n’osaient pas ne point soutenir les exagérations des Hébertistes limousins. Ceux-ci estimaient que la terreur n’était pas à l’ordre du jour dans le département. On se bornait à guillotiner quelques prêtres réfractaires, cela ne suffisait pas à lutter contre la misère et la famine entretenues par les suspects de toute espèce. Le club venait d’adresser à Gonneau, remplaçant de Dumas à la présidence du tribunal, cette sommation : « Pourquoi ton tribunal ne s’est-il pas encore occupé du châtiment des contre-révolutionnaires ? Pourquoi tous les ennemis déclarés du peuple restent-ils tranquilles dans une prison, tandis qu’ils devraient avoir joué à la main chaude ? Pourquoi les Dumas, les Lesterpt (le frère du député guillotiné avec les Brissotins) et tous les autres prévaricateurs iniques ne sont-ils pas en état d’accusation ? Pourquoi la femme Naurissane n’a-t-elle expié ses espiègleries ? Pourquoi la ci-devant Rochechouart espère-t-elle encore habiter son château ? Pourquoi ? Pourquoi… ? on n’en finirait point. Gonneau, nous t’envoyons tous ces pourquoi ; c’est à toi d’y répondre. Nous n’avons pas oublié que tu as montré de la sans-culotterie. Eh bien, marche ! Le peuple malheureux te demande justice. Qu’elle lui soit enfin rendue ! »
    Pendant ce temps, compère Guillaume vivait à petit bruit, organisait des spectacles patriotiques dans le salon de musique de l’hôtel Naurissane, et, se gardant bien d’occuper des fonctions en vue, se contentait de se faire déléguer à la surveillance de la poste aux lettres. Là, avec ses vieilles habitudes d’espion, il ne se gênait point pour ouvrir la correspondance de ses collègues ni pour en prendre des copies qui deviendraient, le cas échéant, d’utiles boucliers, voire de bonnes armes.
    Il hasarda encore davantage. Il avait trop d’expérience pour ne point sentir qu’à force d’excès, sous la pression des Hébertistes et des enragés de toute espèce, la Révolution s’épuisait dans ses outrances et courait à une inévitable réaction. Ce n’était pas seulement contre les Publicola Pédon, les Frègebois, les Janni, les Préat, les Boysse, les Foucaud qu’il fallait se prémunir, mais aussi contre les persécutés du jour,

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