Un vent d'acier
blanc-bec venu. »
Les aînés approuvèrent, battant des mains. « Bien, bien, camarade ! » Le petit soldat moqué prit le parti de rire à son tour. Il s’écarta. Cibot fit claquer son fouet. Des plaisanteries accompagnèrent la carriole. « Heureusement que tu as de la repartie, mon gaillard ! » dit le voiturier en repoussant sa toque pour s’essuyer le front. « Quelle venette !
— J’ai connu tant de traverses ! On y gagne du sang-froid. »
Le pont, franchi, Cibot mit pied à terre pour aider ses chevaux à gravir la rampe droite et raide par laquelle on s’élevait, au flanc du bourg, sur les collines dominant la Vienne. Tandis qu’il tirait ses bêtes par la bride et les encourageait de la voix, Louvet, songeur, se rappelait sa précédente mésaventure sur le chemin de Périgueux : cette aubergiste enragée à lui amener tous les municipaux du village, les uns après les autres, pour le contraindre à montrer son passeport. Elle flairait le suspect, et voulait les cent francs. Il sourit vaguement au souvenir de la façon dont il s’en était tiré, en abreuvant ces rustiques, leur chantant les louanges de la Montagne, en exhibant avec ostentation ledit passeport, pour ne le laisser enfin examiner que par un seul d’entre eux, après s’être rendu compte que le bonhomme ne savait pas lire.
Montées et descentes se succédaient, aussi abruptes. Quel pays bossu ! La charrette traversa les bois de Reignefort, passa devant le mas des Landes. On pouvait apercevoir, à droite, par-delà l’Aurence, le sully dont la géante silhouette situait, sur les pentes remontant de l’étang, le petit château à toit de tuiles que M. de Reilhac avait quitté pour une chambre de suspect à la Visitation, et la maison Montégut qui ne voyait plus venir, le dimanche, Jean-Baptiste ni Léonarde.
En achevant de dévaler la côte, on arriva au Moulin-Blanc où les volontaires de la garde bourgeoise, lors de la Grande Peur, avaient arrêté leur patrouille nocturne. Le soleil s’enfonçait, rouge et sans rayons, dans un lit de brumes très bleues. La nuit serait bientôt là. Néanmoins, après avoir dépassé, au bas de la dernière descente, la première auberge et l’embranchement de la route de Thias, Cibot jugea prudent de faire coucher son compagnon sous la bâche. Avec raison, car les sectionnaires de garde à la Poudrière, bien que connaissant « le Gustou », lui demandèrent d’où il venait et voulurent voir si son passe portait bien le visa de Périgueux. C’était pour le principe, ils ne songèrent pas un instant à examiner les marchandises.
Cibot habitait dans le faubourg Saint-Martial, non loin du vieux pont sur la Vienne. On parvint chez lui à la nuit close. Sans la moindre anicroche, Louvet fut logé à l’abri dans une chambre du fond. La citoyenne Cibot : une petite femme fort propre et accorte, le reçut bien, lui prépara un bon lit, lui fit chauffer de l’eau pour baigner sa jambe malade. Le lendemain, elle eut soin de lui apporter, toutes les deux heures, un seau d’eau chaude, et il tira de ces bains ajoutés au repos un notable soulagement. Il n’aurait pu trouver meilleurs hôtes, pourtant il ne se sentait pas tranquille : cette maison était ouverte à tout venant. Parmi les visiteurs, il y avait des sans-culottes dont les horribles propos parvenaient jusqu’à lui. Il apprit ainsi la mort de Lidon, réfugié lui aussi en Gironde. S’efforçant de regagner Brive, sa ville natale, épuisé de fatigue, il avait pu faire tenir à l’un de ses meilleurs amis un billet pour lui demander un cheval. Or cet ami, devenu franc montagnard, avait envoyé au brissotin hors la loi non pas un cheval mais une brigade de gendarmerie. Lidon était mort en combattant.
Mais la verve des « maratistes » limougeauds s’excitait surtout à propos d’un échange de prisonniers avec la Corrèze. À ce que put comprendre Louvet, un certain Dulimbert, appelé aussi compère Guillaume ou compère Lunettes, membre du Comité de surveillance, et dont le sans-culottisme avait paru, un moment, douteux, s’était fort relevé dans l’estime des Jacobins exaltés en organisant cet échange. Soixante-sept détenus de Limoges, queles « maratistes » semblaient détester tout particulièrement, avaient été expédiés à Tulle, et l’on attendait l’arrivée d’un même nombre de prisonniers amenés par la garde sectionnaire de Tulle, sous la conduite dudit compère
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