Un vent d'acier
conduiront à Orléans. » Jean-Baptiste la regarda en secouant la tête. « Si on vous a dit cela, on vous trompe, citoyenne. D’abord, les voituriers ne partent pas à cette heure, ensuite, je ne dois point passer par le faubourg, Cibot le sait. Enfin, il m’a bien recommandé de l’attendre. Il m’a donné sa parole, je n’ai confiance qu’en ce bon ami. » La petite femme alors éclata en sanglots. « J’ai peur ! gémit-elle. J’ai peur ! Ils nous arrêteront tous ! » Puis elle reprit à travers ses larmes : « Pardonnez-moi, citoyen. Ne dites pas à mon mari ce que j’ai voulu faire. Je le regrette, mais j’ai si peur ! »
Cibot rentra peu après. Il vint droit à la chambre, et, tout animé, saisissant son protégé par les épaules : « Sacrebleu ! s’écria-t-il, ça y est, vous partez demain. Un bon garçon vous roule jusqu’à Paris. Il est prévenu que vous êtes marchandise de contrebande et il répond de vous mettre en sûreté. Vous pouvez lui faire confiance comme à moi-même. C’est un bon patriote mais pas de ces enragés. Ah ! sacrebleu ! que je suis content ! » Les yeux mouillés, Jean-Baptiste le remercia, lui exprima tout ce qu’il ressentait. Il s’en voulait de dissimuler son identité à un homme si dévoué, si généreux. Saurait-il néanmoins garder le secret envers sa femme ? Elle était trop dangereuse, avec sa peur. Il les entendit parler longuement dans la salle. Il y eut des pleurs, des pas précipités, des battements de portes, enfin le bruit des verrous qu’on refermait.
Louvet se mit entre les draps. Il était huit heures. À deux heures du matin, Cibot le réveilla pour le convier à casser la croûte avant de partir. On entama une andouille, on trinqua. Cependant il y avait une ombre sur la joie du brave Gustou.
« Je crains bien, mon ami, lui dit Jean-Baptiste, d’avoir répandu le trouble dans votre ménage. C’est ça, n’est-il pas vrai ?
— Oui, ma pauvre femme n’a pas eu le courage de passer cette nuit dans la maison. Ça me fait peine, car sitôt après vous avoir conduit, je repars pour Périgueux. C’est une absence de dix jours, et dans un cas pareil, avant de quitter son épouse, on aime bien la cajoler un peu. Que voulez-vous, moi je l’adore comme au premier jour, ma Jacqueline. » Comme Louvet s’excusait : « Bah ! bah ! dit le bon Cibot, c’est partie remise. Je la retrouverai, ma femme ; je n’aurais pas retrouvé l’occasion de sauver un honnête homme. »
Louvet fut de nouveau ému aux larmes. Son hôte ne le laissa point s’attendrir. Il lui versa du café, une goutte d’eau-de-vie pour se tenir chaud, lui bourra les poches de pain, de viande, de châtaignes, lui offrit encore des gants de laine et un bonnet de coton. Enfin il l’entraîna, car il fallait arriver au rendez-vous à la pointe du jour. Quand ils sortirent, c’était l’heure la plus froide. Il gelait, les arbres couverts de givre se dessinaient en silhouettes pâles dans la nuit où l’on entendait bruire doucement la Vienne. Cibot longea la rivière jusqu’au pont Etienne, passa derrière le Naveix pour remonter vers les Bénédictins. De là, par la Grange et le chemin d’Aigueperse, il contourna la manufacture de porcelaine dont l’aube éclairait maintenant les cheminées mortes. Les deux compagnons débouchèrent enfin sur la grand-route, hors de vue du poste le plus avancé. En cinq minutes, ils atteignirent la petite auberge, lieu du rendez-vous. Cibot remit son protégé entre les mains de son nouveau guide, renouvela ses recommandations les plus instantes à celui-ci, puis, se tournant vers Louvet, le serra sur sa poitrine. L’écrivain et le charretier se tinrent embrassés, aussi émus l’un que l’autre en se disant adieu.
Plusieurs véhicules, dont les conducteurs buvaient la goutte, attendaient devant l’auberge. Louvet fut saisi de voir son voiturier, un nommé Champalimaud, se diriger vers une grosse berline jaune et noire, pleine de voyageurs.
« Ne vous inquiétez pas », dit ce Champalimaud qui avait l’air d’un garçon décidé, « ils sont prévenus et vous aideront. »
Dans son nouvel avatar, Jean-Baptiste – toujours sous le nom de Larcher – passait pour un soldat de marine en situation irrégulière : cela correspondait au visa du bureau des classes de Lorient et au visa de Bordeaux, dont il pouvait faire état, au moins à l’égard de ses compagnons. Là-dessus, le romancier
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