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Un vent d'acier

Un vent d'acier

Titel: Un vent d'acier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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Lunettes et du Père Duchesne tulliste : l’ancien vicaire apostolique Jumel. On était convenu de donner aux détenus, à leur arrivée, une scène intéressante. Réuni hier dans le temple de la Raison par les soins de la commission d’instruction publique, le peuple avait décidé que l’on ne pouvait mieux les recevoir qu’en repaissant leurs yeux de tout ce qui faisait le beau de l’ancien régime, de tous ces objets pour lesquels ils avaient marqué un attachement si vif et si soutenu. La colonne ayant quitté Pierrebuffière au lever du jour, on l’attendait d’un instant à l’autre. Toute la sans-culotterie limougeaude se pressait dans le faubourg Martial où la Société populaire mettait en place une de ces processions condamnées par Robespierre. Le club de Limoges retardait quelque peu. Ces braves Jacobins, demeurés à la mode du mois dernier, ne se doutaient pas qu’à présent leur zèle était bel et bien contre-révolutionnaire.
    Vers trois heures, le brouhaha s’accrut soudain. L’escorte venait d’apparaître par-delà le vieux pont, sur la route de Toulouse. Les soixante-sept prisonniers remplissaient cinq charrettes, trois couvertes et deux à découvert, dans lesquelles ils étaient fort à l’étroit. Ils venaient d’un peu partout : de Brive comme des petites communes paysannes, de Colonges, de Meyssac, d’Obazine, de Corrèze, de Lapleau. On les avait rassemblés à la maison de détention de Tulle. On comptait parmi eux aussi bien d’humbles cultivateurs condamnés pour avoir retenu leurs grains, des ouvriers accusés de sentiments contre-révolutionnaires, que des négociants suspects de fédéralisme, des aristocrates détenus comme parents d’émigrés. Ils grelottaient, par ce froid. Partis de Tulle l’avant-veille, ils avaient couché à Uzerche dans une église gardée par des sentinelles, sur un peu de paille, sans la moindre couverture, n’ayant reçu pour tout souper qu’un morceau de pain avec un bout de fromage. Le lendemain soir, à Pierrebuffière, la garde nationale de la commune s’était substituée à l’escorte pour les surveiller dans l’église qui leur servait, là aussi, de dortoir, et les avait bien mieux traités, leur fournissant un souper réconfortant.
    Quand les charrettes eurent passé le pont Martial, la procession grotesque s’avança au-devant d’elles, précédée par un détachement de la garde sectionnaire. Derrière, venaient pêle-mêle des sans-culottes affublés de chapes et de chasubles, d’autres en robes de procureurs et de ci-devant conseillers, d’autres déguisés en pénitents, en moines, en nonnes. À leur suite, un prêtre, brandissant une patène et un purificatoire, chevauchait à rebours un âne mitré. Suivait un cochon coiffé d’une couronne, barré de cordons, chamarré de croix et de plaques, avec cette pancarte : Je suis le roi Cochon. Un second portait la tiare, les habits pontificaux et l’inscription : Ego sum papa. Quatre hommes à bonnet rouge soutenaient sur leurs épaules un vaste sarcophage décoré de ces mots : Royalisme, Féodalité, Superstition, Égoïsme, Fédéralisme. Tout autour, des citoyens et citoyennes vêtus comme des aristocrates en deuil, les cheveux épars, se répandaient en gémissements, tandis que, derrière eux, les bons sans-culottes psalmodiaient : Requiescant in pace. Enfin, à quelque distance, une musique accompagnait la Société populaire, en bon ordre derrière son actuel président : le citoyen Boysse, régent des charrois militaires, qui donnait le bras à la déesse Raison – laquelle n’était autre que la blonde Manon Poinsaud. Tous, aux sons des instruments, chantaient des airs patriotiques.
    Les charrettes fermant la marche, on parcourut ainsi les principales rues de la Cité et de la ville haute, parmi la populace qui criait : « Au gibier de guillotine ! » Puis, au bout de deux heures, montant le boulevard de la Poste-aux-Chevaux, le cortège arriva sur l’ancienne place d’Aine devenue la place de la Fraternité. Le soir de décembre, froid et brumeux, tombait rapidement. Les arbres du ci-devant jardin d’Orsay (maintenant la Montagne) formaient un fond sombre derrière lequel rougeoyait le ciel. Les derniers rayons éclairaient la guillotine dressée au milieu de la place. Depuis une quinzaine, le rasoir national s’était mis à fonctionner, raccourcissant cinq prêtres ultramontains. Le tribunal criminel venait, ce jour même, d’en

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