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Un vent d'acier

Un vent d'acier

Titel: Un vent d'acier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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n’avait pas de peine à broder : séparé depuis vingt-cinq mois d’une épouse très chère, et ne parvenant point à obtenir un congé, il s’était résolu à le prendre de lui-même pour la revoir. Il ne mentait qu’à moitié : c’était bien pour rejoindre Lodoïska qu’il retournait à Paris.
    L’histoire touchait beaucoup ces dames. Car il y en avait trois parmi les sept voyageurs, tous très montagnards, du moins en paroles. Or leur jacobinisme, justement, leur faisait un devoir d’aider un citoyen dont on avait contraint la liberté au-delà des mesures imposées par la discipline militaire. Un des sept : un dragon regagnant l’armée du Nord, disait que certains représentants se conduisaient envers les soldats comme de véritables despotes. Bref, toute la carrossée en usa du mieux avec le malheureux Larcher. À l’approche des agglomérations où il pouvait y avoir des corps de garde, il s’allongeait dans la paille répandue en bonne couche sur le plancher pour tenir chaud aux pieds. Recouvert par les pans du grand manteau du cavalier, par les houppelandes des bons Jacobins, enfoncé sous les jupons de leurs épouses « maratistes », il était tout aussi invisible que sous la bâche, dans la charrette du généreux Cibot. Mais il existait d’autres périls. Une fois les passeports vus, tout le monde le croyait hors d’affaire, on s’arrêtait à l’auberge pour dîner ou souper parmi les allées et venues d’autres voyageurs. La route de Paris à Toulouse était très fréquentée, dans les deux sens, notamment par les coureurs en chaise de poste qui voyageaient gratis : députés en mission, commissaires, agents des Comités, dont beaucoup connaissaient Louvet. Ses compagnons n’eussent point compris qu’un humble personnage comme le prétendu Larcher redoutât de voir sa figure reconnue. Pareille crainte eût immanquablement éveillé les soupçons sur son identité. Il lui fallait, d’un air serein, affronter les risques des auberges, en se fiant à sa perruque noire. Il lui fallait aussi, sans changer de visage, entendre les propos, horribles pour lui, de certains commensaux.
    C’est ainsi qu’à Châteauroux un homme, arrivant de Paris où il avait assisté à l’exécution de M me  Roland, en régala toute la tablée. Louvet ignorait cette mort. Il ne put masquer son émotion et ne réussit qu’à grand-peine à retenir des larmes. Heureusement, Champalimaud avait été seul à remarquer cet émoi. En sortant, il serra furtivement la main de Jean-Baptiste et lui dit :
    « Vous vous conduisez bien, continuez et ne craignez pas que je vous manque. Fussiez-vous le diable, je vous passerai. »
    Deux jours après, à Vierzon, Louvet apprit la fin de Cussy, arrêté et exécuté en Gironde. À mesure que l’on avançait vers Paris, les nouvelles des guillotinages se multipliaient, avec les occasions de mauvaises rencontres. Tremblant pour Marguerite, doutant de pouvoir lui-même survivre au milieu des dangers toujours croissants, Louvet en arrivait par moments à désirer la mort qui le délivrerait d’un monde devenu infernal. Ce délire de sang, cette tyrannie démente, comment des hommes qu’il avait connus sensibles, éclairés, honnêtes, s’en faisaient-ils les ministres ! Cela se comprenait de la part d’un Danton, l’Ogre, le Cyclope, de l’atroce conspirateur Robespierre, des infâmes Billaud-Varenne, Collot d’Herbois, mais un Carnot, un Mounier-Dupré jusque-là si sage, un Robert Lindet, un Prieur, Couthon, le doux Couthon qu’indignaient les fureurs de Marat, et qui avait été longtemps du côté de Roland, de Brissot ! Quelle folie les emportait ? quelle contagion anéantissait en eux leurs sentiments humains ?… À la table voisine, une fille épanouie riait avec un jeune officier de chasseurs. Le bonheur leur jaillissait des yeux. Il y avait donc encore de la joie sur cette terre ! Louvet soupira. « Ces gentils amoureux vous font penser à votre femme », lui dit une des épouses maratistes. « Soyez tranquille, vous la reverrez bientôt. » On dînait dans une auberge de Salbris. La lourde berline voyageait lentement. On avait quitté Limoges depuis cinq jours.
    On atteignit Orléans. Les portes en étaient fermées. La nuit précédente, des perquisitions domiciliaires avaient permis, dit le chef de poste, de mettre la main sur quarante scélérats contre-révolutionnaires. Il examina très soigneusement tous les passeports avant

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