Un vent d'acier
Hébertistes et les Dantonistes. Fréron poussait à cette alliance, contre Robespierre. De Toulon, où il était, lui aussi, en mission, comme Augustin, Saliceti, Gasparin, Barras, il écrivait à Desmoulins et à Fabre, leur reprochant de harceler Hébert. « Je ne comprends pas Fréron », disait Camille. Claude comprenait trop bien, lui. Tout était bon aux Dantonistes pour abattre Maximilien dont, à eux seuls, ils ne parvenaient pas à ébranler les assises. Ensuite ils se débarrasseraient facilement d’Hébert, après s’en être servis. Et Danton continuait son double jeu, poussait Camille à réclamer, dans son Vieux Cordelier, la clémence, la fin du régime de terreur, mais déclarait à la tribune de la Convention : « Il faut outrer l’action républicaine, non point la ralentir. » Il envoyait aux Robespierristes d’insidieuses flèches en dénonçant ceux « qui veulent débander l’arc révolutionnaire ». Claude enrageait. Il ne sentait pas ce qu’il y avait de sincère, chez Danton, dans son désir de ramener un régime plus humain. Lise répétait vainement : Danton est bon et généreux, quels que soient ses défauts. Claude ne croyait plus à cette générosité. Les contradictions perpétuelles de son ancien ami avaient fini par l’exaspérer. Dans ces mouvements de bascule, il ne voyait que duplicité.
« Si Danton était homme de cœur, répondait-il à Lise, il s’allierait simplement, franchement avec Maximilien pour réduire à l’impuissance les exagérés. À l’heure présente, voilà le mouvement naturel de tout républicain. Il y a sans doute un fond de banale bonté chez Danton, mais incomparablement plus d’avidité. Il n’écoute que son ambition. Il se soucie bien de la république ! Ce qu’il veut en ce moment, c’est, par n’importe quel moyen, faire renouveler le Comité pour nous sortir de là et y prendre notre place, avec ses autres avides : les Fabre, les Séchelles. On les voit bien agir, allons ! »
Dans cette lutte du républicanisme contre toutes les espèces d’ultras, Claude ne pouvait pas ne point soutenir l’homme aux lunettes. Il lui était cependant difficile d’intervenir lui-même, du fait que son père se trouvait en cause, indirectement mais en cause tout de même. En prenant parti contre les Hébertistes limougeauds, Claude semblerait conduit par l’intérêt. Mieux valait laisser Dulimbert attaquer, et lui fournir tous les auxiliaires désirables. Comme frère Guillaume, avec son manque total d’éloquence, n’improvisait jamais, on convint qu’il allait rédiger soigneusement un mémoire sur les agissements de Préat et de ses amis, pour le lire demain soir, à la tribune des Jacobins. Claude se chargea du reste. On pouvait compter sur Gay-Vernon et Xavier Audouin.
Mais le lendemain, lorsque Claude, un peu en retard, entra dans la vieille chapelle conventuelle, chaude et illuminée, Préat en personne se trouvait là. Il n’avait pas eu le moindre doute sur ce que signifiait la disparition de compère Lunettes, et s’était empressé de le suivre. Il le devançait à la tribune où son élocution facile lui assurait l’avantage. Son aspect aussi. Dulimbert semblait porter la marque de tous les vices sur sa longue et lourde figure rancie. Avec ses yeux indiscernables derrière l’épaisseur des verres, sa bouche obscène et son incroyable menton, il inspirait la répulsion. Préat, l’air ouvert, attirait la sympathie.
Il avait commencé en dénonçant « les menées, en province, de personnages douteux ». Il évoqua ces « individus oubliés de leurs compatriotes dont ils ne se sont jamais souciés, et qui soudain, à l’aube de la Révolution, ont éprouvé le besoin de reparaître dans leur ville natale, d’y vivre dans l’ombre, tout en faisant de mystérieux voyages, et de briguer, parmi les fonctions civiques, seulement celles qui les mettent à même d’espionner leurs concitoyens, de se livrer aux plus sournois agissements. Des hommes dont on ne connaît point le passé, caché sous de singuliers voiles, mais on n’ignore pas cependant qu’ils ont vécu à l’étranger, et, chose bizarre, particulièrement en Prusse. Des hommes qui se donnent des airs de révolutionnaires farouches, et qui protègent les suspects, qui s’efforcent hypocritement de discréditer les patriotes vivant au grand jour, qui les épient, qui minutent contre eux des accusations ».
Le peintre sur porcelaine se tourna
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