Un vent d'acier
Guillaume arrangeait l’Histoire à sa façon. Il se gardait de dire qu’il avait été courrier du Grand Orient, et bien d’autres choses, à coup sûr. Il ne parlait point de ses voyages à Londres, ni du rôle mystérieux dans lequel Claude l’avait surpris, en 89, ni de la petite porte par laquelle on sortait nuitamment de chez Mirabeau, à Versailles, ni de ses surprenantes prophéties et de ses non moins étonnantes interventions dans la vie de quelques hommes. Au vrai, son existence semblait bien changée maintenant, et aussi les positions respectives : Claude faisait figure de protecteur, Guillaume d’auxiliaire. Soit qu’il se sentît vieillir – mais il n’avait que cinquante ans –, soit qu’il jugeât trop dangereux à cette heure le grand théâtre du monde, il se contentait de la scène limousine où, toujours voué à l’ombre, il n’en menait pas moins une action des plus utiles à la cause de la république. Cela seul comptait. Sans lui, le fédéralisme eût peut-être emporté Limoges comme Bordeaux, et à présent le fanatisme d’un Foucaud, l’excessive ardeur d’un Préat, la méchanceté d’un Frègebois, y produiraient des hécatombes.
C’est cette outrance révolutionnaire que Dulimbert, de la tribune, reprochait au peintre sur porcelaine. « Voilà l’erreur de ton esprit, dont j’ai cherché la trace et la raison dans tes lettres, pour la corriger par des remontrances fraternelles, non point, comme tu le crois peu généreusement, pour minuter des accusations. »
Là-dessus, l’ex-moine était en terrain solide, et Préat en délicate posture. Il l’avait bien compris, du reste, aux premières réactions de Gay-Vernon et Audouin. Claude l’avait chapitré avec une entière franchise, car il l’estimait malgré les emportements de son caractère. « Je suis un démocrate absolu, lui avait-il dit, et un incroyant : tu sais cela depuis longtemps, tu m’as vu grandir dans ces convictions. Crois-moi donc si je t’affirme que nous irions contre notre désir de voir s’établir une démocratie complète et disparaître la superstition, si la hâte excessive de réaliser nos espoirs mettait en péril la marche révolutionnaire. À l’heure présente, c’est se montrer contre-révolutionnaire que d’être révolutionnaire avec excès.
— Mais le peuple souffre. Sais-tu qu’il y a en ce moment plus de quatre mille vieillards, enfants ou malades à l’hôpital de Limoges ? Plus de dix mille personnes sont sans moyens d’existence.
— Le peuple souffrirait encore davantage si, en rendant odieux la Convention et le nouveau régime, on facilitait aux royalistes l’entreprise de rétablir le trône et l’autel. Ne le comprends-tu pas ? On retarde, à Limoges. Tu vois bien qu’ici Chaumette, Hébert ont senti leur erreur, qu’ils se sont rangés à l’opinion de Robespierre. Suis donc cet exemple. Refrène Foucaud, réprime Frègebois, ce n’est point un patriote, c’est un individu méprisable, il songe uniquement à satisfaire ses rancunes, ses aigreurs, il se plaît au malheur des autres. Laisse tranquille Dulimbert, il agit exactement comme nous le souhaitons, ici. Et je te prie de t’arranger pour rendre la liberté à Dumas, dès ton retour. Il faut être insensé pour accuser un démocrate si sûr, un des premiers artisans de la Révolution.
— Il a protégé Pétiniaud-Beaupeyrat lors de son procès.
— Eh ! sacrebleu, je l’eusse moi-même protégé ! Te représentes-tu ce que les gens qui ne sont ni révolutionnaires ni contre-révolutionnaires et souhaitent tout simplement un régime juste, honnête, peuvent penser de la manière dont vous traitez un homme qui s’est ruiné à fournir du blé au peuple ? Encore une fois, voulez-vous faire haïr la république ? Au lieu d’élever des autels à la Raison pour célébrer un culte ridicule, cultivez-la donc en vous-mêmes ! »
Quant à Gay-Vernon, il avait adressé au club limougeaud une lettre sévère, tançant Foucaud, principal responsable de la mascarade organisée pour recevoir les suspects de Tulle, et Publicola Pédon qui en avait donné un enthousiaste compte rendu dans le Journal du Département. « Sachez-le bien, frères et amis, écrivait Gay-Vernon, la Convention ne tolérera pas ces extravagances. Pénétrez-vous bien de ceci : elle ne frappe point les prêtres en tant que tels, elle frappe en certains d’entre eux les complices de l’étranger et les séides
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