Un vent d'acier
du royalisme. Prenez-y garde, les excès du sans-culottisme ne sont pas moins suspects que les tiédeurs des modérantistes. » L’ex-évêque tâchait ainsi d’affirmer sa rectitude dans la nouvelle ligne jacobine. Il redoutait l’épreuve de l’épuration. Son apostasie, à la suite de Gobel, lui avait valu le mépris de Robespierre et le soupçon de marcher avec Hébert, Chaumette, Clootz. L’expulsion du ci-devant « Orateur du genre humain » donnait froid dans le dos. Gay-Vernon se doutait bien que si Robespierre ménageait encore Hébert et Chaumette, il n’en avait pourtant pas fini avec eux. On reparlerait, certainement, du complot de l’Étranger. À ce moment, il ne ferait pas bon passer pour avoir eu la moindre apparence de sympathie pour les Hébertistes. Quelle vie ! Gay-Vernon commençait de regretter son tranquille épiscopat limousin, la quiétude du palais aux terrasses étagées sur la Vienne.
Les explications de Guillaume Dulimbert furent accueillies favorablement par le club. Préat, sans s’y laisser prendre, n’insista pas. Compère Lunettes put écrire à la Société de Limoges qu’il était entièrement lavé des accusations faussement portées contre lui. Entre-temps, les Jacobins limougeauds avaient inventorié en détail ses papiers. Le jour même où, dans la chapelle du Collège, les secrétaires donnaient lecture de son bulletin de victoire, confirmé par un billet de Gay-Vernon assidu correspondant du club, le citoyen Martin demandait à interpeller Dulimbert, dès son retour, au sujet de lettres transmises par lui à des parents d’émigrés. Redoutable imputation qui menait tout droit au vasistas, comme disait agréablement le cynique Vadier. Cette accusation n’eut aucune suite. Préat, sitôt rentré, s’entretint en grand secret avec Janni, Foucaud, Pédon. À la suite de quoi, la commission chargée du rapport sur les activités de « l’homme indéfinissable » le déclara complètement justifié. On n’avait trouvé chez lui que les preuves de son patriotisme. Frègebois n’y comprenait rien. On lui ferma la bouche. Le citoyen Martin se hâta de remarquer : « Depuis la disparition de Dulimbert, tous les aristocrates se réjouissent. Rien ne pourrait prouver plus clairement sa vertu révolutionnaire. » Guillaume put réintégrer en toute sécurité, au moins pour le moment, son logis de la rue des Combes. Nul n’avait songé à sonder les murs. Le chef de Saint-Martial y reposait toujours, à l’abri de tout soupçon. La réapparition de compère Lunettes fut accueillie, à la Société populaire, par des applaudissements. On lui avait tout de même retiré ses fonctions de commissaire à la poste aux lettres. Peu de jours après, Pierre Dumas était remis en liberté.
La question de la Manufacture restait toutefois pendante. On en débattit publiquement en séance, aux Jacobins. Préat exposa et développa ses idées sur le sujet. M. Mounier répondit :
« Il existe deux différences capitales dont tu ne tiens pas compte, frère et ami. La direction de la Monnaie était une charge. Abolie comme toutes les charges, elle est revenue entre les mains de la nation, qui a laissé cette fonction à Naurissane. Lorsqu’il a émigré, il n’y avait pas lieu de l’indemniser puisque ses biens étaient saisis. La Manufacture, elle, n’a jamais été rien d’autre qu’une entreprise privée, décorée du vain titre de Royale par la superstition du temps. Je l’ai acquise avec les deniers de ma famille, j’en suis comptable envers ma femme et mes enfants. Voilà pourquoi je me refuse à la céder à vil prix. La Monnaie n’est pas plus ma propriété que le tribunal n’est celle du citoyen Gonneau. Au contraire, la Manufacture est ma possession, et mes biens ne sont pas des biens d’émigré. Si vous estimez, citoyens, que j’accapare une fonction qui devrait revenir à un autre, je la résignerai sur-le-champ. Mais pour me retirer, sous une forme ou une autre, la Manufacture, il faudrait une loi de la Convention décrétant l’abolition de toute propriété. »
À l’évocation du sacrilège, tout le club se mit à bourdonner. On acceptait de voir emprisonner, guillotiner des amis, des parents, massacrer des prêtres, on s’était tu en apprenant la mort de Lesterpt-Beauvais, de Gorsas dont le frère continuait à venir au club, comme le beau-frère de Vergniaud, par crainte d’être suspect, mais l’idée d’une atteinte aux
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