Un vent d'acier
Manufacture ci-devant royale de porcelaine. Ce Brigueil la voulait à bon marché, étant donné son état d’abandon. Le père de Claude n’entendait pas du tout les choses de la sorte. Au-contraire, considérant la plus-value des biens avec la dépréciation du papier, il demandait une somme importante, et le paiement en numéraire. L’affaire en restait là, lorsque ledit Brigueil : un spéculateur, s’était adressé à Préat pour obtenir à vil prix la Manufacture. S’il réussissait, il lui en promettait la direction. Brutus n’eût point accepté de pot-de-vin, mais il considérait que son ancien patron prenait un peu trop avantage de la Révolution. Sa manufacture, périclitante dès 87, ne valait déjà pas grand-chose à l’époque. Aux premiers temps du jacobinisme, le père Mounier tirait singulièrement la langue. Le club l’avait bel et bien sauvé de l’indigence. Il le méritait, car c’était un brave homme, vrai démocrate, mais d’avoir mordu au gâteau, ça lui aiguisait les dents. Quoi ! nanti de la Monnaie où il exerçait les plus grasses fonctions de tout Limoges – celles qui avaient fait de Naurissane un Crésus, en d’autres temps, il est vrai –, il prétendait encore garder la Manufacture ! Si l’une était nationale, l’autre également. La nation pouvait disposer de la Manufacture comme elle avait disposé de la Monnaie. Mounier devait choisir entre l’une et l’autre, et, s’il gardait la Monnaie, s’estimer favorisé en recevant pour la Manufacture une indemnité raisonnable, c’est-à-dire la somme offerte par Brigueil. C’est ce que Brutus Préat écrivait à celui-ci, en se flattant d’en faire décider ainsi par le District, sur le vœu du comité local.
Guillaume Dulimbert n’avait pas manqué de relever toute cette correspondance ni de mettre au fait le père de Claude, comptant bien le voir partir en guerre sur-le-champ contre Préat et les Hébertistes limougeauds. Ils allaient avoir sur le dos une bonne accusation pour abus de fonctions, vénalité, etc, et seraient jetés bas avant de savoir d’où venait le coup.
Dans son calcul, Guillaume n’omettait qu’une chose : M. Mounier était trop avisé pour attaquer de but en blanc Préat et ses acolytes, l’ex-dominicain Foucaud, Frègebois, Janni, Publicola Pédon, devant lesquels les Nicaut, les Farne, les Barbou, les Malinvaud et autres vieux Jacobins tremblaient. Prudemment, il avait commencé par préparer ses batteries, parlant de l’affaire aux uns et aux autres : à certains qui, pour gagner la faveur de Préat, s’étaient empressés de l’avertir. Brigueil et lui étant seuls au courant de ses intentions, il fallait nécessairement que leur correspondance ait été surprise. Par qui ? il n’eut aucune peine à le deviner. Le soir même, il dénonçait avec véhémence compère Lunettes à la Société populaire, et le club indigné, furieux, demandait la saisie immédiate des papiers de Guillaume Dulimbert, l’ouverture d’une enquête à son sujet.
Trois jours plus tard, Guillaume, voyageant en poste, arrivait à Paris et se présentait au pavillon de l’Égalité où Claude, surpris, le reçut aussitôt. En exposant sa situation, l’ancien moine insista sur le fait que s’il profitait de ses fonctions pour ouvrir les lettres, c’était afin de contrecarrer les Hébertistes limousins, d’obtenir des armes contre eux, et de protéger les gens qu’ils poursuivaient de haines personnelles. « J’ai favorisé des émigrés inoffensifs, j’ai été de ceux qui ont fait évader ton beau-frère Naurissane, tu l’as bien compris ; je me suis également employé à faciliter l’émigration de Pétiniaud-Beaupeyrat. Je ne m’en repens point. Mais cela ne laisse pas de me rendre vulnérable aux coups de ces furieux. Parmi mes papiers, on trouvera des choses compromettantes. Il faut pourtant que je sois blanchi et que je retourne là-bas, sans quoi ces énergumènes décimeront Limoges. Ils veulent la tête de ta belle-sœur et de bien d’autres personnes dont il n’y a plus pourtant rien à craindre, ils veulent celle de Dumas qu’ils maintiennent en prison, on ne parvient point à le leur arracher. Par leurs excès, ils rendent la Révolution odieuse non seulement à la bourgeoisie mais même aux petites gens.
— Je sais, dit Claude. C’est cela que nous combattons. »
Ils y avaient grand-peine, avec l’ancienne collusion qui se renouait sourdement entre les
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