Un vent d'acier
s’exclama-t-il, nous aussi nous sommes sensibles ! Les Jacobins ont toutes les vertus, mais ils réservent leurs sentiments pour les patriotes, qui sont leurs frères. Les aristocrates ne le seront jamais. » Claude le regardait : Collot était sincère, certainement ; seul avec Billaud-Varenne parmi les alliés d’Hébert, on ne pouvait le suspecter d’obéir à l’intérêt ni à l’intrigue.
Appuyé sur ce solide champion, le Père Duchesne reprit la parole pour dénoncer la conjuration de Fabre d’Églantine, Bourdon, Philippeaux, Laveaux et Camille Desmoulins.
« Camille Desmoulins ! s’écria le tape-dur Nicolas, juré et imprimeur du Tribunal révolutionnaire, Camille Desmoulins frise depuis longtemps la guillotine. »
Hébert, qui avait décidément retrouvé sa langue, dressait un réquisitoire contre les traîtres :
« Philippeaux mendie, dans un pamphlet qu’il fait circuler en Vendée, des faux témoins contre Ronsin et ose vanter les gens nobles chassés de l’armée. Desmoulins a rendu autrefois de grands services, mais depuis son mariage avec une femme riche il est l’hôte des aristocrates et, à l’occasion, leur protecteur. Dans son Vieux Cordelier, il tourne les patriotes en ridicule. Mais la cheville ouvrière de tous ces complots, c’est Fabre d’Églantine. Serpent rusé se repliant en toutes façons, il sème la discorde parmi les Jacobins. Il s’est insinué parmi les républicains en voyant que les aristocrates avaient le dessous, et s’est fait élire député sans avoir jamais accompli aucune action civique. S’il combat Ronsin, c’est parce que ce vaillant patriote a blâmé le luxe insolent de Fabre-Fond qui doit à son frère d’être général de brigade en Vendée. Tous ces fauteurs de complots ont obtenu, grâce à des faux témoins, l’incarcération de nos frères, et ils comptent bien que la Convention, impuissante à débrouiller de telles intrigues, amnistiera en masse aristocrates, Feuillants, modérés. À qui Fabre espère-t-il faire croire que Vincent a reçu de l’argent de Pitt pour immoler Custine ? »
Suivit un panégyrique de Vincent. En réalité, le fils du portier de la Conciergerie, autrefois clerc chez un avocat au Conseil du Roi, s’était introduit à la Guerre avec les Cordeliers, sous Pache. Devenu chef de bureau, il avait été destitué par Beurnonville mais réintégré par Bouchotte, comme secrétaire général. Petit homme excité, brutal, quelque peu ivrogne, il terrorisait le ministère où il mettait un affreux désordre. Carnot le haïssait. Claude aurait, à la rigueur, souffert Ronsin, mais Vincent n’était pas possible : il menaçait l’effort accompli par le Comité de Salut public. Hélas, il fallait des précautions pour s’en délivrer.
« Deux hommes, continua Hébert, ont toute mon estime et toute ma confiance : c’est Danton et Robespierre, les deux colonnes de la Révolution. Je les engage à ne plus se laisser circonvenir par des pygmées qui veulent s’élever à l’ombre de leur patriotisme. Qu’ils s’en débarrassent et ils seront grands, ils écraseront avec nous ces reptiles qui ont juré de perdre la liberté. »
Du fauteuil présidentiel, Claude jeta un coup d’œil à Robespierre. Il restait impassible, les lunettes bleutées cachant ses yeux, les lèvres serrées. Danton, carré sur son banc, croisant les jambes, les bras sur la poitrine, ne manifestait rien, lui non plus. On avait peine à croire qu’un vermisseau comme Hébert, sorti en quelques mois de sa fange, pût se permettre de morigéner ces deux géants. Un an plus tôt, ils l’eussent dédaigneusement écrasé d’un coup de talon. Ils ne bougèrent pas davantage lorsqu’il demanda l’expulsion de Fabre, Desmoulins, Bourdon de l’Oise et une motion de défiance envers Philippeaux qui, n’étant pas membre de la Société, n’en pouvait être exclu. Hébert réclama encore, malgré l’avertissement de Claude, l’envoi d’une adresse à la Convention pour la mise en jugement des soixante-treize, puis le rapport Amar sur la conspiration de Chabot et Bazire, enfin un vote de confiance en faveur de Vincent et de Ronsin.
Le club n’accorda rien de tout cela. On décida simplement qu’au cours d’une prochaine séance, les Jacobins pris à partie par le frère Hébert devraient présenter leur justification. Quant à Ronsin et à Vincent, on leur enverrait un extrait du procès-verbal comme témoignage de
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