Un vent d'acier
sympathie fraternelle.
« Mes amis, écoutez-moi », dit Claude à Robespierre et à Couthon, quand ils sortirent ensemble dans la nuit froide, « il est temps, il est grand temps d’en finir avec Hébert, et il s’y prête bien imprudemment en demandant le rapport Amar. Il ne sait pas ce que ce rapport contient. » Couthon approuva, mais Maximilien hésitait. Il craignait de renforcer les Dantonistes, de lâcher les rênes à tous les réacteurs, si l’on supprimait l’épouvantail hébertiste. « Non, je ne sais pas encore », répéta Robespierre, puis il se tut. On arrivait au portail. Le gendarme de Couthon souleva dans ses bras le paralytique et le mit en voiture. Maximilien monta également pour lui tenir compagnie, bien que le trajet fût très court. Couthon aussi habitait avec sa famille la maison Duplay, mais la partie de l’immeuble donnant sur la rue.
En dépit de son demi-échec, Hébert, dans Le Père Duchesne, célébra sur un ton lyrique les résultats de la journée : « On avait escamoté un décret à la Convention pour mettre en état d’arrestation le brave général de l’armée révolutionnaire. On a fait siffler la linotte au patriote Vincent. Mais le brave Collot d’Herbois est arrivé pour débrouiller l’intrigue. Il a confondu les calomniateurs. Le géant a paru et tous les nains qui asticotent les meilleurs patriotes sont rentrés sous terre. »
Dans un autre article – une prosopopée où il prêtait la parole à Marat –, le Père Duchesne faisait dire au défunt Ami du peuple : « C’est l’énergie de Vincent qui a purgé les bureaux de la Guerre de tous les muscadins que Servan, Beurnonville y avaient placés. Raconte ce qui s’est passé, la veille de ma mort, entre Vincent, toi et moi. Sans nous, l’infâme Custine vivrait encore. C’est Vincent qui a réuni les pièces prouvant les crimes de ce scélérat. Je sais que le petit bougre est hargneux, dans sa fièvre patriotique il frappe parfois à tort et à travers. C’est là aussi le crime qu’on n’a cessé de me reprocher. Je sais bon gré à nos frères les Cordeliers et aux citoyens de la section Mucius Scevola d’avoir rendu hommage au patriotisme de Vincent. Que le Comité de Sûreté générale examine sa conduite et lui accorde prompte justice. S’il est innocent, il faut lui rendre la liberté. »
Le 3 nivôse, la Société des Amis des Droits de l’Homme et du Citoyen, c’est-à-dire les Cordeliers, signifiait à la Convention cette mise en demeure. Et le soir, aux Jacobins, la discussion s’engagea, furieuse, sur la question Vincent-Ronsin. Sous la querelle des personnes, on sentait bien là une lutte profonde, et mortelle, entre la volonté de maintenir, sinon d’accroître encore le régime de terreur, et la volonté de le réduire. Le public s’y passionnait si fort que l’on faisait commerce des places dans la vieille église conventuelle, elles se payèrent jusqu’à vingt-cinq francs. Philippeaux, Fabre d’Églantine, Desmoulins, Bourdon de l’Oise devaient comparaître devant l’aréopage jacobin. Collot d’Herbois ouvrit le feu contre eux en annonçant la mort de Gaillard, grand ami du martyr Chalier. Gaillard, à l’idée que la Convention semblait désapprouver l’énergie déployée à Lyon, s’était suicidé de chagrin. « Vous ai-je trompés, s’écria Collot, quand je vous ai dit que les patriotes allaient être réduits au désespoir, si l’esprit public venait à baisser ici ? » Et il s’en prit aux « faiseurs de libelles, qui traduisent les auteurs anciens afin de modérer le mouvement révolutionnaire ».
Mais c’était avant tout Philippeaux que l’on attendait : les Cordeliers pour le confondre ; les modérantistes, nombreux parmi le public, pour l’entendre accabler la clique d’Hébert. Tout le monde avait lu le pamphlet dans lequel Philippeaux dénonçait les incapacités, les extravagances et les couardises de l’état-major de Saumur, et l’accusait d’avoir trahi en faisant échouer le plan de campagne du 2 septembre. Claude, Prieur, Carnot même, savaient que non : il s’agissait d’imbécillités, de rivalités, d’humeur entre généraux, nullement de trahison. C’est pourquoi le Comité n’avait pas voulu poursuivre Rossignol. Sur quoi le bouillant Philippeaux rendait le Comité de Salut public comptable des trente mille hommes tombés dans cette désastreuse campagne. Il semblait même pousser la suspicion
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