Un vent d'acier
impressionné, semblait-il, défila devant jusqu’à près de deux heures du matin. Alors on scella le cercueil, et on le descendit dans le caveau ménagé sous le monument dont on maçonna l’entrée. Le surlendemain, eut lieu une seconde fête funéraire, à laquelle participa une délégation de l’Assemblée, pour le transfert du cœur au club des Cordeliers. Il fut suspendu à la voûte, dans une urne de porphyre.
La veille, le 17, Charlotte Corday, revêtue de la chemise rouge des parricides, avait été guillotinée sur la place de la Révolution. Il pleuvait. Une grosse averse orageuse.
III
Comme l’avait senti Claude, et avec lui tous les Montagnards réfléchis, la disparition de Marat ouvrait le champ aux Enragés. Neuf jours avant sa mort, il avait publié contre Jacques Roux, Varlet, Leclerc d’Oze – déjà stigmatisés par Robespierre, par les Jacobins, le Conseil général de la Commune et même la plupart de leurs frères Cordeliers – un violent réquisitoire. « Varlet, écrivait-il, peut n’être qu’un intrigant sans cervelle, mais le petit Leclerc paraît un fripon très adroit. » Quant à Jacques Roux, c’était « un ambitieux cupide, un hypocrite, un patriote de circonstance visant l’épiscopat ou la députation ». La veille même de l’assassinat, le Curé rouge étant allé chez l’Ami du peuple se défendre avec humilité. Marat l’avait accablé de son mépris, en présence de deux témoins : Allain et l’Américain Greive. À les croire, Jacques Roux, avant de se retirer, aurait lancé à son censeur « un regard prolongé de vengeance impossible à dépeindre ». Ce qui incita les deux hommes, aussitôt après le meurtre, à déclarer que Roux pouvait bien en être le complice sinon l’instigateur. Le Comité de Sûreté générale ne releva pourtant rien contre lui à cet égard.
Tout cela n’empêchait point le prêtre de se prétendre impudemment le continuateur de Marat, en rappelant que Gorsas, dans sa gazette, l’avait baptisé le « Petit Marat ». Dès le 16 juillet, il faisait paraître un numéro 243 du Publiciste de la République française, rédigé par « l’ombre de Marat ». D’autres numéros suivirent, tous flattant le gouvernement que Roux avait jusque-là si violemment attaqué, la Commune et la Montagne. « Vous êtes tout entiers au peuple, écrivait-il, le peuple est tout à vous. Vous avez déclaré la guerre aux agioteurs et aux accapareurs, vous êtes les sauveurs de la patrie. »
Préoccupé par ce singulier personnage, à la fois sympathique par ses idées et dangereux par son impatience à vouloir les réaliser, Claude se demandait si ce changement de ton visait simplement à satisfaire les lecteurs habituels de Marat dont son « continuateur » recherchait la clientèle, ou s’il amorçait une manœuvre. Ni aux Jacobins ni au Comité ni au Conseil général on ne savait grand-chose sur Roux jusqu’à son apparition en décembre 92 à la Commune où l’avait envoyé la section des Gravilliers. Dubon n’en pouvait rien dire. Mais Maillard (Thomas) n’eut aucune peine à fournir, au moyen des pièces réunies par la Sûreté générale et par les agents de la Commune, un dossier sur le « Prédicateur des sans-culottes ».
Né en Angoumois, d’une famille aisée, il avait fait ses études au séminaire d’Angoulême où, en 1772, il enseignait à son tour. Confusément compromis dans le meurtre d’un élève tué d’un coup de fusil par le cuisinier du séminaire, il avait été emprisonné avec le coupable, le supérieur et son secrétaire dans les cachots de l’officiante pendant quelques semaines. À cela près, rien de saillant dans son existence jusqu’à la Révolution. Au lendemain de la prise de la Bastille – il comptait alors trente-sept ans –, il prononçait un discours dans l’église de Saint-Thomas de Conac pour célébrer l’œuvre de la Providence et le triomphe des braves Parisiens sur les ennemis du bien public. Il faisait l’éloge de Louis XVI, « ce monarque de bonté, de justice et de paix ». En avril suivant, des troubles éclatèrent à Conac où deux châteaux furent brûlés, la maison d’un régisseur pillée. À cette date, un rapport du commissaire du Roi au ministre de l’Intérieur indiquait : « Si l’on doit ajouter foi aux récits de diverses personnes assez dignes de créance, le sieur Roux, vicaire de cette paroisse, a eu grande part dans cet
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