Un vent d'acier
événement. Il est généralement accusé d’avoir prêché la doctrine dangereuse que les terres appartiennent à tous également… On assure encore que, non content d’avoir parlé ce langage publiquement dans quelques-uns de ses prônes, il s’est occupé sourdement, par la séduction, de faire soulever les peuples contre les hommes favorisés de la fortune. » Absent de Conac depuis quinze jours, au moment de ces violences, l’abbé ne pouvait y être impliqué directement. Il n’en fut pas moins tenu pour responsable, révoqué, interdit, et dut quitter la région.
Pour Claude, ces pièces parlaient plutôt en faveur de Roux, idéaliste exalté mais sincère, dont les idées ultra-démocratiques ne dataient pas d’aujourd’hui. Seulement la suite était très troublante. Après son départ de la Saintonge, on n’avait pour renseignements sur le prêtre qu’un pamphlet des plus bizarres, non signé et vraisemblablement rédigé par lui-même, car la brochure se vendait chez son amie, la veuve Petit. Cela s’intitulait : L’apôtre martyr de la Révolution ou discours d’un curé patriote qui vient d’être assassiné par dix-huit aristocrates. À en croire ce pamphlet, Jacques Roux, en quittant Conac, se serait réfugié dans l’Aude. Les électeurs de Carcassonne l’auraient nommé, le 25 juillet 1790, à la cure de Massigni. Là, les aristocrates, affolés par le succès de sa propagande patriotique, auraient essayé de le séduire, de l’acheter, et n’y parvenant pas, se seraient vengés en l’assassinant, une nuit, dans sa cure. « Ils lui arrachent les yeux, la langue, ils lui coupent les deux mains, ils lui plongent cinq coups de poignard dans le sein. »
À quoi tendait cette fable extravagante ? Si Roux se prétendait mort, son martyre ne pouvait servir en rien le vivant : lequel, arrivé à Paris au début de 91, s’y faisait appeler Renaudi. Et en reprenant son nom de Jacques Roux, fin 1791, pour prêter serment comme vicaire de Saint-Thomas-des-Champs, il trahissait son imposture. Marat la relevait, dans son réquisitoire du 4 juillet, en accusant Roux d’avoir, pour se rendre intéressant aux yeux des sans-culottes, « usurpé le nom du curé constitutionnel d’Issy assassiné, et publié à son profit l’histoire de l’attentat commis sur la personne de ce bon curé, afin d’inspirer plus d’intérêt et de gagner plus d’argent ». Cela semblait probable, car une lettre du comité de surveillance de Carcassonne, en réponse à un questionnaire envoyé par le Comité de Sûreté générale, informait celui-ci qu’il n’y avait jamais eu de curé à Massigni, tout simplement parce qu’il n’existait dans le département aucun bourg, village ou paroisse de ce nom. Après ça, quelle confiance pouvait-on faire à un pareil charlatan !
Sa grande influence sur les Gravilliers et les sections voisines, Temple, Observatoire, datait de peu : de l’accroissement de la vie chère et la raréfaction des denrées, depuis l’automne 92. En s’appuyant sur les artisans, les petits boutiquiers de ces sections – plus sensibles encore à cette crise que les ouvriers, car non seulement elle les affamait comme ceux-ci mais de plus elle les ruinait – et sur les ménagères, il était devenu important tout à coup. Auparavant, sa propre section le considérait comme un vulgaire intrigant. Selon les dépositions recueillies par la Sûreté, il montrait « une hâte fébrile de devenir quelque chose ». Après s’être vainement dépensé pour obtenir une place au tribunal du 17 août, briguant un siège à la Convention il avait sans scrupule fait distribuer des bulletins portant son nom, fait même adresser des lettres pour recommander sa candidature. Résultat : il récoltait le mépris de ses collègues électeurs et une voix pour tout suffrage. Échec piteux. Restaient les élections au Département. Échec là encore. Finalement, il n’avait été nommé qu’au Conseil de la Commune.
Tout cela justifiait l’opinion de Marat et de Robespierre, voire d’Hébert, à son endroit. Il ne pouvait être sincère, ce soudain adoucissement d’un homme qui, hier encore, provoquait les femmes à piller, quai du Louvre, des bateaux chargés de savon, qui, non content d’avoir obligé la Convention, sous la menace de l’émeute, à voter le maximum pour les grains, lui déclarait, le 25 juin : « Délégués du peuple français, cent fois cette enceinte a
Weitere Kostenlose Bücher