Un vent d'acier
Clootz avait demandé à passer le dernier et montré un extraordinaire sang-froid.
« Le peuple, silencieux pendant les exécutions, a ensuite jeté en l’air ses chapeaux en criant : Vive la République ! »
V
Ceux qui manifestaient ainsi leur allégresse, en cette soirée du 5 germinal – 25 mars 94 – croyaient voir, dans la disparition des ultra-révolutionnaires, le triomphe de l’esprit modérateur. Pour certains même, c’était l’annonce, si longtemps espérée, de la contre-révolution. Claude et ses collègues des deux Comités s’en rendaient parfaitement compte. Robespierre, Saint-Just, Billaud-Varenne, Collot, Couthon jugeaient bien en estimant qu’après avoir frappé à gauche il fallait frapper à droite. D’autant plus que déjà les Dantonistes se renforçaient de ce succès. L’esprit rétrograde, répandu dans une grande partie de la population, était le leur. C’est eux qui avaient déclenché la lutte contre l’armée révolutionnaire, contre Ronsin, Vincent, Hébert et les Cordeliers exagérés. Leur exécution donnait aux Indulgents toutes les témérités.
Les jours suivants, ils ne mirent plus aucun frein à leurs attaques. Bourdon de l’Oise poursuivait de ses coups Pache, Bouchotte et les agents du gouvernement. Philippeaux reprenait de plus belle ses véhémentes dénonciations sur la conduite de la guerre en Vendée, soutenu par Merlin le moustachu dont les prévarications éclipsaient la gloire conquise à Mayence. Delacroix, Thuriot agitaient la Montagne contre les Comités. Desmoulins appelait ouvertement au combat contre les responsables du prolongement de la guerre et de la terreur.
Pourtant Danton, à Sèvres, ne devait pas ignorer quelle menace planait sur ses amis et lui-même. Claude pensait bien que Panis l’avait prévenu de la décision prise au pavillon, le 23 mars, et bien d’autres pouvaient lui décrire la joie de Voulland, Amar, Vadier, Collot, Billaud savourant par avance leur victoire. Collot d’Herbois répétait : « On trouvera le moyen de le conduire à l’échafaud, celui-là aussi. » David se répandait en malédictions furieuses contre son ancien ami, ce qui valait au peintre cette apostrophe de Desmoulins : « David broie du rouge. » Vadier insinuait en se frottant les mains : « La petite Louise Danton a été notre meilleur auxiliaire. Avec sa peau fraîche et ses yeux doux, c’est elle qui a désarmé cet hercule de foire. »
Danton semblait en effet désarmé. La plupart du temps, il restait à la campagne, étrangement indolent. Les avertissements ne lui manquaient pas. Il les négligeait tous. Son ami Thibaudeau, député de Poitiers, lui déclarant : « Ton insouciance m’étonne, je ne conçois rien à ton apathie. Tu ne vois donc pas que Robespierre conspire ta perte ? » il répondit : « Si je croyais qu’il en eût seulement la pensée, je lui mangerais les entrailles. » Mais ses réactions se bornaient à ce genre de rodomontades. Il faisait bonne chère et, sa jolie femme à son bras, partait en promenade vers Saint-Cloud, vers Meudon. Le printemps éclatait en couleurs neuves, en verdures et en fleurs, dans une grisante odeur de sève. Joie de vivre !…
Westermann non plus ne comprenait pas cette inertie quand le péril croissait de jour en jour. Il fallait sans attendre prendre l’offensive. L’Alsacien voulait que l’on soulevât les faubourgs. Par un audacieux coup de main, on anéantirait les Comités. Danton restait sceptique là-dessus ; le temps des insurrections était passé, le pouvoir solidement concentré ne laissait aucune chance à un soulèvement, l’échec de la tentative hébertiste en fournissait la preuve. C’est sur ses ressources de manœuvrier et d’orateur qu’il comptait pour livrer bataille dans la Convention, pour la retourner comme il y avait si souvent réussi. Au demeurant, malgré toutes les mises en garde il ne croyait point qu’il y eût des hommes assez hardis pour toucher à sa tête.
« Voyez, se récriait-il, ne tient-elle pas bien sur mes épaules ! Et pourquoi voudraient-ils me faire périr ? À quoi bon ? À quel sujet ?
— Défie-toi de Saint-Just, lui répétaient les uns et les autres.
— Bah ! Saint-Just ! Il n’osera pas. »
Il arrivait néanmoins à Danton de se mettre en colère. Trois jours après la mort des Hébertistes, il vint à l’Assemblée. Rencontrant David dans la salle de la Liberté, il l’interpella
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