Un vent d'acier
violemment, lui reprocha son ingratitude. Puis, lui montrant le vieux Vadier qui se dirigeait vers le vestibule, il s’exclama en serrant avec toute sa poigne le bras du peintre : « Cet homme a dit de moi : Nous le viderons, ce gros turbot farci. Eh bien, rapporte-lui, à ce scélérat, que le jour où je pourrai craindre pour ma vie je deviendrai plus féroce qu’un cannibale, que je lui mangerai la cervelle et que je ch…rai dans son crâne ! » David, pâle de frayeur, cherchait à s’esquiver. Danton gueulait ces menaces à pleine voix, les témoins s’empressèrent d’en faire des gorges chaudes et les rieurs ne furent pas du côté de Vadier.
Le surlendemain, on revit Danton, un moment. Comme il sortait avant la fin de la séance, avec Fréron, Panis, Barras, Brune de passage à Paris – Desmoulins ne venait plus à la Convention – il apostropha Voulland, Amar, Vadier qui parlaient à Barère sur le perron du pavillon de l’Unité, ci-devant de l’Horloge.
« Lisez donc les mémoires de Philippeaux, lança le tribun à ses ennemis. Vous y trouverez les moyens de finir cette guerre en Vendée, que vous perpétuez pour vous rendre nécessaires.
— C’est toi qui as fait imprimer et distribuer ces mémoires de fou ! riposta Voulland.
— C’est toi, dit Amar, qui fais écrire Le Vieux Cordelier contre le gouvernement.
— Je n’ai point à m’en défendre », répliqua Danton. Et, comme la discussion s’envenimait, il gronda : « Je monterai à la tribune, je vous accuserai de concussion, de tyrannie. J’ai des preuves, je vous confondrai. »
Les quatre hommes rompirent et s’éloignèrent dans le grand vestibule aux colonnes bordé de boutiques. Ils ne se sentaient pas à l’abri de tout reproche. Le sanglier acculé pouvait leur porter des coups mortels, il fallait hâter sa fin. Barras comprit leur pensée. Il n’oubliait pas la manière menaçante dont l’Incorruptible les avait reçus, Fréron et lui, à leur retour de Toulon. Il se savait visé comme Danton. Il le prit par le bras.
« Rentrons à l’Assemblée, dit-il. Monte à la tribune ainsi que tu viens de le promettre, nous te soutiendrons. Tu as trop ou pas assez parlé, il s’agit de combattre sur-le-champ, n’attendons pas demain, tu seras peut-être arrêté cette nuit. » Danton haussa les épaules.
« Allons donc ! Ils n’oseraient pas. Tranquillise-toi, mon ami, et viens avec nous manger la poularde.
— Non, dit Barras, merci, je vous quitte. »
S’adressant à Fréron, Brune et Panis :
« Veillez bien sur Danton, leur recommanda-t-il. Il a menacé au lieu de frapper. »
Même en ce moment où tout l’avertissait que l’heure de l’action décisive était venue, il temporisait encore, il espérait négocier – comme il avait temporisé jusqu’au bout, le 9 août, même après avoir fait sonner le tocsin.
Mais pendant qu’il « mangeait la poularde », Saint-Just, lui, travaillait sur les notes de Robespierre. Pour Maximilien, le grand coupable était Fabre, quant à Danton il ne désirait pas sa mort, il voulait « qu’il s’en aille », comme Danton disait des Brissotins, un an plus tôt : « Qu’ils s’en aillent ! » Seulement, c’était Saint-Just, le rapporteur désigné. Il ajoutait du vitriol aux renseignements fournis par Maximilien. Celui-ci lui avait demandé de ménager au moins Camille, au sujet duquel il notait non sans indulgence : « Desmoulins, par la mobilité de son imagination et par sa vanité, était propre à devenir le séide de Fabre et de Danton. Ce fut par cette route qu’ils le poussèrent jusqu’au crime, mais ils ne se l’étaient attaché que par les dehors du patriotisme dont ils se couvraient. Desmoulins montra de la franchise et du républicanisme en censurant avec véhémence, dans ses feuilles, Mirabeau, La Fayette, Barnave et Lameth, au temps de leur puissance et de leur réputation, après les avoir loués de bonne foi. » Sous la plume de Saint-Just, cela devenait : « Camille Desmoulins, qui fut d’abord dupe et finit par être complice, fut, comme Philippeaux, un instrument de Fabre et de Danton. Il manquait de caractère, on le prit par l’orgueil. Il attaqua en rhéteur le gouvernement révolutionnaire dans toutes ses conséquences, il parla effrontément en faveur des ennemis de la Révolution. »
Le 10 germinal, le sixième jour après l’exécution des Hébertistes, Claude venait d’entrer dans son
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