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Un vent d'acier

Un vent d'acier

Titel: Un vent d'acier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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devinait le jardin noir et le ciel plus clair que la masse des marronniers lointains. Les gardes s’étaient levés de leurs banquettes. Des secrétaires grossoyaient sur le grand bureau encombré d’encriers et de paperasses. Un des huissiers souleva la tenture qui étouffait les échos des délibérations. Claude ouvrit la porte derrière laquelle la reine avait peut-être attendu Barnave venant tenter un suprême effort pour sauver la monarchie constitutionnelle.
    Dans la vaste pièce, pleine de lumières et d’ombres, il y avait déjà, autour de la table à tapis vert frangé d’or, une dizaine de membres des Comités. Robespierre était là, lèvres serrées, traits tendus, ses lunettes sur le front. Il tapotait fébrilement son sous-main, un bras pendant par-dessus le dossier de la chaise. La figure douce et pensive, Couthon, dans son fauteuil mécanique aux engrenages de bois, tenait, sur ses genoux cachés par une couverture, sa petite levrette grise. D’autres commissaires étaient également assis çà et là, isolés ou en groupes, d’autres, debout. Certains allaient et venaient nerveusement. Personne ne parlait. Des signes de tête distraits, quelques « Bonsoir », saluèrent seuls les nouveaux venus. Les rideaux étaient tirés sur les fenêtres. Le lustre de bronze et de cristal répandait sa lumière diffuse. Les reflets des flambeaux sur le tapis de la longue table ovale teintaient de vert les contours des visages. Des bûches brûlaient dans la haute cheminée de marbre blanc, et leurs lueurs luttant avec celles des bougies projetaient des formes mouvantes sur la blancheur des boiseries où les dorures luisaient, sur les colonnes restant de l’alcôve, sur l’allégorie de la Nuit et du Sommeil peinte au plafond. Carnot, Lindet, puis Panis, David, Le Bas, venant du Comité de Sûreté générale, arrivèrent successivement. On était dix-sept lorsque, par la porte donnant sur le couloir, Saint-Just entra, une liasse de papiers à la main.
    « Voici le rapport », dit-il.
    On se rassembla autour de la table, dans un bruit de chaises frottant sur le parquet, ce qui fit aboyer la levrette de Couthon. Il la calma. Saint-Just attira un des flambeaux et se mit à lire.
    Sa lecture dura près de deux heures, pendant lesquelles la surprise, l’émotion, la crainte transparurent sur bien des visages. Les membres du Comité de législation et certains de la Sûreté générale ne s’attendaient pas à cette charge irrésistible. Le vieux Ruhl semblait atterré. Sieyès, peu soucieux de se compromettre, n’était pas venu. Cambacérès restait impassible. Treilhard paraissait mal à l’aise. Toutefois, la plupart des auditeurs étaient visiblement saisis par l’argumentation de Saint-Just. Claude avait remarqué qu’après un long tableau des agissements relevés contre les Dantonistes, lorsqu’il s’en était pris à Danton lui-même, il le citait directement. Il comptait donc le faire comparaître à la barre de l’Assemblée ? En effet, il conclut en demandant que les accusés fussent traduits à la Convention.
    « Tu perds l’esprit ! s’exclama Vadier. Il s’agit de les arrêter tout de suite.
    — Non. Il faut les laisser se défendre avant de mettre aux voix le décret d’accusation. »
    L’ancien conseiller royal bondit. Pourquoi les Dantonistes jouiraient-ils d’un privilège refusé à leurs prédécesseurs ? Avait-on entendu Clootz ? Avait-on entendu les Brissotins ? Et Barnave ? Et Duport-Dutertre ? Accorder la parole à Danton, c’était lui permettre d’abuser une fois encore l’Assemblée, de la retourner comme un gant, de frapper à son tour. N’en avait-il pas proféré la menace, avant-hier ? Saint-Just ne venait-il pas de démontrer admirablement le cheminement tortueux de la faction ? Allait-on donner à celle-ci le temps d’anéantir les patriotes, de mener à bien son complot contre la république ? Voulait-on faire ici le jeu des aristocrates ?
    Saint-Just s’obstinait. Cachait-il une arrière-idée de sauver Danton et Desmoulins ? Peu probable, pensait Claude. C’est par gloriole que le beau Saint-Just tenait à ce face à face avec Danton ; il se voyait en David terrassant Goliath. Il avait soigneusement réglé son assaut et voulait le livrer en public, il voulait qu’on le vît plus fort que le puissant Danton. Et puis il se piquait dans son amour-propre d’auteur. Son texte n’était pas seulement un rapport, mais un discours.

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