Un vent d'acier
amis ? Il ne s’agit pas de savoir si un homme a commis tel ou tel acte patriotique, mais quelle a été toute sa carrière. Legendre paraît ignorer le nom de ceux qui ont été arrêtés. Toute la Convention les connaît. Son ami Delacroix est du nombre de ces détenus. Pourquoi feint-il de l’ignorer ? Parce qu’il sait qu’on ne peut sans impudeur défendre Delacroix. Legendre a parlé de Danton parce qu’il croit sans doute qu’à ce nom est attaché un privilège. Nous ne voulons point de privilèges. Nous ne voulons point d’idoles. »
Des applaudissements coururent, s’enflèrent, dans la salle et dans le public nombreux ce matin. Claude venait d’arriver avec Carnot, Billaud, Collot, Prieur. Il mesura les progrès accomplis par Maximilien. Il était loin, l’orateur, diffus et tâtonnant, de la Constituante et même des premiers temps de la Convention, qui se perdait dans sa rhétorique aigre ou pleurnicharde.
« Nous verrons, poursuivit-il avec âpreté, nous verrons en ce jour si la Convention saura briser une prétendue idole, pourrie depuis longtemps, ou si celle-ci, dans sa chute, écrasera la Convention et le peuple français. »
La suite de son discours, haché de nouveaux applaudissements, fut une réplique aux accusations d’antiparlementarisme et de dictature, par lesquelles, dit-il, on essayait de déconsidérer les Comités. Et comme, du côté des anciens Dantonistes, s’élevaient des murmures, voire des cris de « Tyran ! » Maximilien lança : « Quiconque tremble est coupable, car jamais l’innocence ne redoute la surveillance publique. »
Après avoir affirmé que si les dangers de Danton devaient un jour devenir les siens, cette considération ne l’arrêterait pas un instant, il expliqua pourquoi il s’était séparé de Danton, comme il s’était déclaré l’ennemi de Pétion, de Roland après avoir été leur ami, quand il avait découvert qu’ils trahissaient la Révolution. Et il conclut : « Les âmes vulgaires ou les hommes impurs craignent toujours de voir tomber leurs semblables, parce que, n’ayant plus devant eux une barrière de coupables, ils restent exposés au jour de la vérité. Mais s’il existe des âmes vulgaires, il en est d’héroïques dans cette Assemblée. Elles sauront braver toutes les fausses terreurs. D’ailleurs, le nombre des accusés n’est pas grand, le crime n’a trouvé que peu de partisans parmi nous. En frappant quelques têtes, la patrie sera délivrée. »
Devant le succès de ce discours, Legendre s’effondra. Il protesta qu’il ne doutait pas du jugement de Robespierre et ne s’obstinait pas à défendre des coupables. Barère prit alors la parole pour justifier le Comité des allégations de dictature et de tyrannie. Il demanda le vote sur la motion de Legendre. Elle fut repoussée à l’unanimité : Danton, Desmoulins, Philippeaux, Delacroix ne seraient pas entendus.
Restait à écouter le rapporteur des Comités. Saint-Just gravit les marches de la tribune. Il n’avait pas cherché à remanier son texte. Raide, les yeux fixés sur les feuillets qu’il tenait de la main droite, il se mit à les lire froidement, sans autre geste que de lever de temps en temps l’autre main et de la laisser retomber comme un couperet.
« Citoyens, disait-il, il y a quelque chose de terrible dans l’amour sacré de la patrie, il est tellement exclusif qu’il immole tout sans pitié, sans frayeur, sans respect humain, à l’intérêt public. Vos Comités, pleins de ce sentiment, m’ont chargé de vous demander justice, au nom de la patrie, contre des hommes qui trahissent depuis longtemps la cause populaire, qui vous ont fait la guerre avec tous les conjurés, avec Orléans, avec Brissot, avec Hébert, avec Hérault et leurs complices. Puisse cet exemple être le dernier que vous donnerez de votre inflexibilité envers vous-mêmes ! »
C’était une autre forme de l’espoir exprimé par Maximilien dans sa conclusion : En frappant quelques têtes, la patrie sera délivrée. On ne demandait plus que cet ultime sacrifice. Après, c’en serait fini du régime de terreur. Claude l’espérait aussi : le parti hébertiste et le parti dantoniste décapités, le gouvernement démocratique, n’étant plus sous cette double menace, trouverait son jeu normal.
Saint-Just poursuivait : « Tout nous convainc que l’étranger forma ou favorisa, de tout temps, divers partis, pour ourdir les mêmes complots et
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