Un vent d'acier
Les apostrophes, les appels du pied deviendraient ridicules en l’absence de l’adversaire. Bottes et coups droits ne pourfendraient que le vide.
« Vadier a raison, dit Claude. Nous savons de quelles volte-face la Plaine est susceptible. N’a-t-elle pas, l’autre jour encore, applaudi Danton avec enthousiasme ? Comment réagira la Convention si, sous prétexte de te répondre, il se lance dans une harangue frémissante de ce patriotisme dont il sait si bien prendre l’accent, et si ces complices organisent quelque manifestation tapageuse aux portes de l’Assemblée ? Mieux vaut la placer devant le fait accompli. Nous n’agissons pas en traîtres. Danton a été suffisamment prévenu, nous lui avons assez tendu la perche. Il s’obstine dans ses menées, il se prétend sûr de triompher, comme Marat, devant le Tribunal révolutionnaire. Qu’il y aille donc ! Nous ne pouvons pas, mon ami, laisser mettre la république en péril pour te ménager le plaisir de faire un discours. »
Ce garçon était bien téméraire. Se croire capable de tenir tête à Danton ! Robespierre soutint cependant que l’on devrait entendre les accusés. Les arrêter sans l’assentiment de la Convention, c’était prêter le flanc à l’accusation de tyrannie que l’on entendait formuler sourdement contre les Comités. Vadier, Billaud, Collot s’emportèrent. La discussion devenait très violente. Ruhl, Lindet protestaient contre l’arbitraire de telles arrestations.
« Songez-y bien, avertit Carnot, une tête comme celle-là en entraîne beaucoup d’autres ! »
Plusieurs des commissaires s’étaient levés. Saint-Just martelait la table à coups de poing. Soudain, au paroxysme de la colère, il jeta dans le feu son manuscrit qui ne signifiait plus rien à ses yeux, et sortit en claquant la porte. Amar s’empressa de dérober aux tisons le rapport, tandis que Robespierre et Vadier s’affrontaient.
« Tu peux courir la chance d’être guillotiné, si tel est ton bon plaisir, s’écria Vadier, ses cheveux blancs en désordre. Pour moi, je veux éviter ce risque en les faisant arrêter sur-le-champ. Car il ne faut point avoir d’illusions : si nous ne les guillotinons pas, ils nous guillotineront. »
Robespierre se tut. Un silence, non moins brutal que venaient de l’être les propos, tomba comme un coup de hache. Le rouge de la passion et la pâleur de l’effroi marbraient les visages.
Saint-Just rentra, ramené par son ami Le Bas, et s’assit d’un air maussade. Barère, saisissant un bout de papier qui traînait, se mit à brouillonner. Dans la cheminée, le feu mourait lentement. Quelqu’un tira les rideaux. Le jour commençait de poindre. Il avait plu. Barère raturait, surchargeait. Enfin il donna lecture : Danton, Delacroix, Philippeaux, Desmoulins, députés à la Convention nationale, seraient arrêtés sans délai et enfermés au Luxembourg. Le maire de Paris était chargé de faire exécuter cet ordre.
« Fort bien ! » dit Billaud-Varenne.
Il s’avança, saisit la plume et signa d’un mouvement décidé. Vadier l’imita aussitôt, puis le papier circula autour de la table. Claude s’aperçut que Barère avait, pour cette occasion, déguisé son écriture. C’était bien de lui. Lindet repoussa la feuille.
« Je suis ici, dit-il, pour nourrir les citoyens, non pas pour tuer des patriotes. »
Ruhl aussi refusa. Tous les autres signèrent, Robespierre le dernier. On se leva bruyamment. Saint-Just avait repris son rapport. Panis s’était furtivement éclipsé. Il courait prévenir Danton. Claude haussa les épaules. Personne n’aurait été autant et si inutilement averti.
Une heure plus tard, les gendarmes opéraient. Ils emmenaient Philippeaux, Delacroix. Camille, rentré chez lui, la veille au soir, pour apprendre, par une lettre de son père, la mort de sa mère qu’il ne savait même pas malade, avait encore les yeux rougis de pleurs quand les soldats vinrent le saisir. Folle, Lucile s’accrochait à lui. Un évanouissement le lui fit lâcher.
Tout près de là, Danton attendait. Il avait remercié et renvoyé Panis. On ne pouvait plus tenter de fuir. D’ailleurs, il n’en éprouvait nulle envie. Restait toujours la possibilité de se défendre, au tribunal, de soulever peut-être tous ceux qui ne voulaient plus de la tyrannie républicaine. Et puis qu’importait ! il en avait son aise de ce monde absurde où les fous faisaient la loi, où l’on gâchait à
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