Un vent d'acier
plaisir le bonheur de vivre.
Tassé dans son fauteuil, à côté de sa jeune femme brisée, endormie sur un des lits jumeaux, Danton écoutait. Le jour était clair à présent, blêmi par des nuages qui couraient, annonçant une giboulée prochaine. Un bruit de voiture, de bottes, de fers emplit la rue juste éveillée. Des ordres, des pas lourds retentirent sous le porche, dans le grand escalier de pierre. Les crosses résonnèrent sur les dalles, devant l’antichambre. Louise s’était dressée en sursaut. Danton l’étreignit frénétiquement, lui couvrant le visage de baisers. Elle sanglotait et tremblait.
« N’aie pas peur, dit Danton, ils n’oseront pas me faire mourir. »
Il la laissa, presque pâmée, entre les mains de Marie Fougerot, elle-même en pleurs, et il se remit aux gendarmes. Le remue-ménage avait attiré les voisins. À toutes les fenêtres, au seuil des boutiques, se montraient des gens effarés, s’interpellant, questionnant. Ils virent sortir, au milieu des soldats, des baïonnettes, un gaillard en habit bleu, qui se retournait et criait : « Adieu, adieu ! » d’une voix tonnante.
« Quoi ! se dirent-ils avec stupeur, c’est le citoyen Danton qu’on emmène ! »
La même stupéfaction l’accueillit au Luxembourg. Les nouvelles circulaient de chambre en chambre. On ne savait que penser. Arrêtés, l’homme du 14 juillet et l’homme du 10 août ! La contre-révolution était-elle donc faite ? Les détenus éberlués se pressaient pour voir passer le créateur du Tribunal révolutionnaire, l’inventeur des visites domiciliaires, le ministre qui avait cautionné les massacreurs de Septembre. « Eh oui, c’est moi ! déclarait-il en plastronnant. C’est Danton, regardez-le bien. J’entre ici pour avoir voulu finir vos misères et votre captivité, mais si la raison ne revient pas en ce bas monde, vous n’avez encore vu que des roses. »
Legendre, dans sa demeure toute proche des Cordeliers, avait appris très vite l’arrestation de Danton et de Desmoulins. Qu’on pût les accuser, il n’en doutait pas, mais il les estimait coupables de légèreté, d’erreurs, assurément point d’intentions mauvaises. L’arbitraire de la mesure prise contre eux l’indignait. Il se hâta d’alerter quelques modérés encore amis des Dantonistes. Dès l’ouverture de la séance, à l’Assemblée, Delmas, ancien adversaire de Claude au premier Comité de Salut public, déposa une motion d’ordre afin que l’on convoquât immédiatement les commissaires en train de siéger au pavillon de l’Égalité. Après quoi Legendre fonça. « Citoyens, dit-il, quatre membres de cette Assemblée ont été arrêtés cette nuit. Danton en est un, j’ignore le nom des autres, mais je demande que tous soient traduits à la barre où ils seront jugés, accusés ou absous par vous. Je crois Danton aussi pur que moi-même…»
Des protestations interrompirent l’ex-boucher. Il reprit avec force : « Je ne veux attaquer aucun membre des Comités, mais j’ai le droit de craindre que des haines particulières et des passions individuelles n’arrachent à la nation des hommes qui lui ont rendu les plus utiles services. Celui qui, en septembre 92, fit lever la France entière par les mesures énergiques dont il se servit pour ébranler le peuple, doit avoir la faculté de s’expliquer quand on l’accuse de trahir la patrie. Il est depuis ce matin dans les fers. On a craint sans doute que ses réponses ne détruisent les accusations dirigées contre lui. Je demande en conséquence qu’avant que vous entendiez aucun rapport, les détenus soient mandés. »
Payan répondit par une motion inverse. L’Assemblée, présidée par Tallien, devenait houleuse. Robespierre et Barère, devançant les autres commissaires, étaient déjà survenus. Robespierre monta vivement à la tribune. Il était résolu, il n’entendait pas laisser attaquer un acte des Comités.
« À l’agitation qui règne dans cette assemblée, déclara-t-il sèchement, on voit bien qu’il s’agit d’un grand intérêt. Il s’agit, en effet, de savoir si quelques hommes l’emporteront aujourd’hui sur la patrie. Comment pouvez-vous oublier vos principes ? Voulez-vous accorder à certains individus ce que vous avez refusé naguère à Bazire, à Chabot, à Fabre d’Églantine ? Pourquoi cette différence ? Que m’importent les beaux discours, les éloges qu’on se donne à soi-même ou à ses
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