Un vent d'acier
cimetière de la Madeleine, mais ils ne rejoignirent pas là le roi, la reine, les Brissotins, Manon Roland. Hébert et ses amis avaient été les derniers inhumés dans ce jardin nourri de corps sans tête. La section du Mont-Blanc se plaignait de ce voisinage, les gens craignaient une épidémie, et puis le pavé de la rue Ville-l’Évêque était constamment souillé de sang. Aussi, depuis le 25 mars, les charniers avaient été fermés. Les cadavres de Danton et de ses amis furent repris pendant la nuit et transportés au bout du faubourg de la Petite-Pologne. Là, dans la plaine Monceau, s’étendait un désert d’herbages, de broussailles et de frondaisons, bordé par les murs de la Folie de Chartres, par la rue de Valois et celle des Errancis toutes campagnardes. C’est là que, dans la nuit d’avril parfumée par l’odeur des lilas, les Dantonistes furent enterrés à la lueur des lanternes.
Huit jours plus tard, Lucile, exécutée en même temps que Dillon, Chaumette, Gobel et la femme d’Hébert, venait retrouver son « Monsieur Hon ».
Le surlendemain, les administrateurs de police firent savoir au Comité que Stanislas Maillard, dévoré par la phtisie, venait de mourir dans son petit logement de la place de la Commune, ci-devant de Grève. Il avait trente et un ans. Peu de jours auparavant, un « aristocrate » rescapé grâce à lui de l’Abbaye était allé le remercier et lui exprimer sa reconnaissance.
VI
Ce fut dans cette tragique période que Lise fit à son mari la confidence si longtemps attendue : ils allaient avoir un enfant. « Est-ce vrai ? Es-tu sûre ?
— Oui. Je te l’aurais déjà dit, mais je ne voulais pas t’annoncer une chose pareille au plus fort de tant de tristesses. »
Un enfant ! Ceux de presque tous les ménages qu’ils avaient connus depuis 89 étaient à présent des orphelins : la petite Eudora, le petit Horace que Desmoulins éprouvait tant d’impatience à voir naître, les fils de Danton, celui de Philippeaux, les fils ou filles de Carra, de Gorsas, de Valazé, de Brissot. Lui, Claude, verrait-il le sien ou la sienne ? Quel révolutionnaire pouvait être sûr de vivre encore dans neuf mois ? Et que serait-il, cet enfant conçu dans la fièvre et l’angoisse ?… Mais, à travers tous ses sombres sentiments, s’épanouissait en Claude une fusée de joie, de tendresse pour ce petit être encore informe qui existait dans le sein de Lise.
« Le fruit de notre amour, notre amour incarné ! Que c’est beau, ma bien-aimée ! » murmura-t-il en la serrant avec précaution contre lui.
Bien entendu, en songeant qu’il pourrait être immolé, Claude n’envisageait point un risque venant des Montagnards ni des Comités. Au contraire de beaucoup de gens qui tremblaient en ce moment pour leur vie, il n’avait ou croyait n’avoir rien à craindre de ce côté-là : le sien, celui de ses amis. Ils frappaient les contre-révolutionnaires. S’ils avaient avec lui fait tomber le glaive de la loi sur les Brissotins, sur les Hébertistes puis les Dantonistes, c’est parce que ces faux patriotes menaçaient, d’une façon ou d’une autre, la démocratie républicaine. Le péril, pour Claude et les Jacobins, pour tous ceux qui pouvaient être, comme Le Pelletier, comme Marat, comme Chalier à Lyon, martyrs de l’idéal démocratique, venait de tous les aristocrates nobles ou bourgeois, royalistes, monarchistes, ex-Feuillants, muscadins, prêtres ultramontains, émigrés ; de ceux qui, battus en Vendée, entretenaient toujours dans le Bocage des foyers de conspiration avec l’Angleterre et d’insurrection, qui rallumaient la guerre civile dans l’Ouest au moyen de la Chouannerie ; de ceux qui donnaient la main à la coalition étrangère en train de rassembler des forces pour foncer à nouveau sur Paris, par le nord cette fois.
L’ennemi tenait encore, depuis l’automne dernier, une partie de ce département. Cobourg et son chef d’état-major, le colonel Mack, fameux tacticien, massaient sur ce point le principal des cent soixante mille hommes composant l’armée autrichienne. Éperonné par Carnot, Pichegru venait de les attaquer et de se faire enlever le Cateau-Cambrésis. La nouvelle en était arrivée au Comité le 10 germinal : le jour où Saint-Just présentait son rapport sur les Dantonistes. Cobourg comptait évidemment percer par la trouée de l’Oise et se ruer vers Paris. Une fois de plus, les royalistes, les
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