Un vent d'acier
avons assez vécu pour nous endormir dans la gloire. »
Les autres s’insurgeaient avec la fureur du désespoir, froissaient leurs papiers, les jetaient en boules à la tête des magistrats. Fouquier requit alors qu’en raison de l’indécence des prévenus le verdict et le jugement fussent prononcés hors de leur présence. Le tribunal s’y accorda. Ils s’accrochaient à leurs bancs. Il fallut trois gendarmes pour en arracher Desmoulins qui poussait des clameurs aiguës. Delacroix criait à la tyrannie. Danton, à pleine gorge, lança : « Moi, conspirateur ! Mais je b… ma femme tous les jours ! » Puis tout se confondit dans le tumulte. Parmi le public, pas une voix, cette fois ne s’éleva pour prendre le parti des accusés.
Les jurés hésitaient encore sur le verdict. Retirés dans leur chambre de délibération, ils étaient plusieurs à reculer devant cette chose énorme : tuer Danton. Leur chef, l’Auvergnat Trinchant, ne s’y résignait pas. Les commissaires de la Sûreté générale montèrent avec Herman et Fouquier à la buvette touchant la salle du jury et appelèrent les « faibles » pour les exhorter. L’un d’eux pleurait. Son collègue Souberbielle lui dit :
« Enfin, voyons, lequel, de Robespierre et de Danton, est le plus utile à la république ?
— C’est Robespierre.
— Eh bien alors, il faut guillotiner Danton. »
David répétait aux uns et aux autres : « L’opinion a déjà jugé. »
Amar et Voulland résolurent alors de jeter sur le tapis les dernières cartes : ils remirent à Herman la lettre de l’ancien ministre d’André et celle du Foreign Office. Accompagné de Fouquier, Herman entra dans la salle du jury avec les deux documents. Un instant plus tard, Paris-Fabricius, qui se trouvait au greffe, entendit un grand bruit dans l’escalier. Sortant sur le palier, il vit descendre à grand vacarme les jurés. Ils semblaient furieux. Trinchant en tête gesticulait et criait : « Les scélérats ! Ils vont périr. » Voulland, Vadier, Amar suivaient, avec David qui proclamait d’un ton triomphal : « Enfin, nous les tenons ! » Ils s’engouffrèrent dans la Grand-Chambre où le jury déclara tous les accusés, sauf Lhuillier, coupables de conspiration contre la représentation nationale, en vue de rétablir la monarchie. Fouquier présenta ses conclusions. Herman, après avoir consulté ses assesseurs, rendit la sentence de mort et ordonna que le jugement serait notifié aux condamnés entre les deux guichets de la prison.
Il le fut peu après midi, « Ce jugement, je ne veux pas l’écouter, proclama Danton, je crache dessus. Qu’on nous mène tout de suite à la guillotine. » Desmoulins sanglotait. Ses compagnons se détournaient de lui et parlaient entre eux d’un air indifférent. Sanson, avisé de procéder à l’exécution le jour même, arriva bientôt à la Conciergerie. « Gros gibier aujourd’hui ! » remarqua le gendarme qui le fit entrer.
Franchis les deux étroits guichets, on pénétrait dans la pièce réservée au concierge, Richard. Elle donnait, à gauche, accès au greffe, coupé en deux par une cloison à jour garnie de barreaux de bois. Les Dantonistes étaient là derrière, les uns serrés sur le banc établi contre les deux murs, les autres debout. Sanson et ses aides les firent passer dans la pièce du concierge. Sur une chaise, dans l’angle du fond, se faisait la toilette des condamnés. Tandis qu’on lui coupait les cheveux, Fabre se lamentait sur sa comédie, L’Orange de Malte, saisie avec ses papiers. Ce misérable Collot d’Herbois, qui s’était toujours fait siffler au théâtre, serait bien capable de se l’approprier. Desmoulins se débattit entre les mains des aides en gémissant : « Ma Lucile ! Mon petit Horace ! » Hérault-Séchelles, Philippeaux, Westermann restaient impassibles. Avec une tragique gaieté, Danton plaisantait le bourreau : « Prends garde de nous manquer quand tu nous démantibuleras les vertèbres cervicales ! » et il lançait de gros mots.
Une fois prêts, on les enferma de nouveau dans l’arrière-greffe. Ils attendirent dans cette petite pièce : antichambre ordinaire de la mort, pour tous les condamnés. On entendait la rumeur de la foule autour du Palais. Puis ce furent les roulements de grosses roues, les pas des chevaux et les bruits guerriers de l’escorte.
À quatre heures, on les fit sortir un par un, les mains liées. Ils
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