Un vent d'acier
se gagneront les grandes batailles. Ne devons-nous pas la victoire de Toulon à la manière dont le citoyen Buonaparte a employé son artillerie ? »
Carnot ne niait point l’importance de cette arme, mais il voyait le facteur décisif des combats dans la masse des forces tombant en avalanche sur l’adversaire. Et, avec son caractère entier, coléreux, il supportait mal la contradiction. Il s’emporta. Bernard demeurait très calme, au contraire. Il s’était peu à peu, par instinct et par expérience, formé une conception de la guerre, dans laquelle la réflexion, le calcul, la souplesse, la manœuvre comptaient plus, au fond, que le choc. Carnot ne se souciait pas de cela, il demandait aux généraux d’entraîner leurs hommes et de les jeter sur l’ennemi avec une force suffisante pour le rompre et le détruire. La tactique de Bouvines, ou plutôt l’absence de tactique. Dénué de toute expérience militaire, Saint-Just partageait cette idée qui flattait son héroïsme simpliste. Bernard l’avait vu charger à la tête des demi-brigades, il se battait comme un archange. Mais sous son front aplati il n’y avait que des idées de jeune homme. « C’est bon, citoyens, dit Bernard, dans toute la mesure du possible je tiendrai compte des désirs du Comité. » Il n’en avait pas la moindre intention, estimant les charges en masse beaucoup trop coûteuses. Il continuait à croire profondément que si le premier devoir d’un général consistait à remporter la victoire, le second était de la remporter au moindre prix de vies humaines.
« Beau caractère, mais sacrée mauvaise tête ! Nous n’avons pas besoin de généraux raisonneurs », bougonna Carnot quand Bernard fut parti. Claude lui dit, une heure plus tard : « Tu as perdu en un instant beaucoup de la faveur que tu t’étais acquise.
— Peu m’importe ! j’ai fait mon devoir. Ton Carnot est un imbécile. Il avait un grand homme de guerre : Hoche, il le met en prison pour des motifs absurdes. Il prétend diriger les armées, et il ne serait pas capable de ranger en bataille une division. Ses plans d’ensemble ne valent ni plus ni moins que d’autres, au demeurant, mais qu’il nous laisse toute latitude pour les exécuter. »
Claude secoua la tête. « Tu vois la chose ainsi parce que tu es un stratège, toi, mon ami. La plupart des généraux, Jourdan lui-même, ont besoin d’être guidés pas à pas.
— Parbleu ! À force d’en guillotiner ou d’en arrêter, il ne vous restera plus bientôt que des médiocres. Je ne voudrais pas te causer la moindre peine, Claude, mais laisse-moi te dire qu’à mon avis votre Comité devient tyrannique.
— Je ne l’ignore pas. C’est à ce prix que nous avons pu mettre sur pied quinze armées et les fournir de ce dont elles ont besoin pour se battre. En six mois nous avons accompli une besogne de titans, cela ne pouvait se réaliser par des moyens ordinaires.
— Tu dis vrai. Vous avez bien mérité de la patrie. Grâce à vous, nous sommes forts, et nous vaincrons, j’en suis sûr. Il est loin, le temps des désertions. Il y a parmi les troupes une grande détermination, un patriotisme enflammé. Si tu savais quel air héroïque on respire, comme tout est simple et pur, là-bas ! » dit Bernard.
Il revit Claudine le lendemain matin. Gabrielle s’était arrangée pour les laisser seuls. Claudine voulait se montrer digne fiancée d’un homme dont elle admirait le courage, cependant elle ne put empêcher des larmes de perler à ses cils. « Ne pleure pas, mon amour », murmura Bernard en lui baisant les yeux. « C’est pour te revenir bien vite que je vais me battre, maintenant. Sois patiente. Je te le promets, avant l’automne la France sera victorieuse et nous serons unis. »
Ils se séparaient lorsque la sonnette résonna. Une voix joyeuse se mit à crier derrière la porte : « Tout le monde sur le pont ! voilà l’amiral ! » Fernand ! Claudine lui ouvrit. Il l’enleva et la fit tournoyer puis s’arrêta en apercevant Bernard.
« Général, dit-il, je…
— Pas général, ton beau-frère ou presque, mon garçon. Depuis hier, le fiancé de Claudine. Tu manquais seul à ce mémorable jour. »
Fernand revenait d’une croisière dans le golfe de Gascogne. La division légère, conduite par la République ayant à son bord Jean Bon Saint-André, était entrée en rade de Brest la veille, et comme le représentant se rendait à Paris pour deux
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