Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Un vent d'acier

Un vent d'acier

Titel: Un vent d'acier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
Vom Netzwerk:
traversèrent la petite cour pleine d’ombre. À leur tour, après les Brissotins, les Hébertistes, ils gravirent les marches en haut desquelles, derrière la grille, trois charrettes s’alignaient dans la cour du Mai, contre le Grand Perron couvert de curieux. Le convoi partit, chaque voiture entourée de gendarmes. On déboucha du Pont-au-Change dans l’illumination du soleil irradiant la Seine, les quais. Le peuple, en nombre, ne manifestait que curiosité. Sur le passage du cortège, quelques sans-culottes crièrent cependant : « À la guillotine ! » et huèrent les condamnés. D’autres chantaient La Marseillaise. Desmoulins se débattait dans ses liens, si furieusement qu’il déchira son habit, sa chemise. Le torse à demi nu, il criait à la foule : « Peuple, on te trompe ! On massacre tes défenseurs. Je suis le premier apôtre de la liberté. Me laisserez-vous assassiner ?
    — Tiens-toi donc tranquille ! lui dit Danton. Penses-tu attendrir cette canaille ? » Mais lui-même gardait encore un suprême espoir. Brune n’avait-il pas juré de périr ou de les sauver, lui et Camille ! Legendre, Fréron l’aideraient peut-être. Fabre d’Églantine continuait à regretter sa pièce :
    « De si beaux vers !
    — Des vers ! Avant huit jours, tu en feras à foison. »
    Dans la longue rue de la Convention, ex-Saint-Honoré, au café de la Régence, David, un crayon aux doigts, s’apprêtait à croquer Danton au passage, comme il avait déjà croqué la reine. Danton le souffleta d’un mot : « Valet ! » Et, plus loin, devant la maison Duplay, il s’écria : « Tu me suis, Robespierre. Ta demeure sera rasée. On y sèmera du sel. »
    Les charrettes débouchèrent par la rue ci-devant Royale. La place de la Révolution, mi-partie d’ombre et de lumière dorée, était noire de monde. Le soleil, près de se coucher maintenant, donnait au ciel la couleur même des lilas qui fleurissaient sur les terrasses des Tuileries, et lançait des rayons par-dessus les masses des marronniers en fleur dans les Champs-Élysées. Beauté du soir d’avril. La statue de la Liberté allongeait son ombre jusqu’à l’échafaud. Entre les bras rouges de la guillotine, le couteau brillait, rose. Hérault-Séchelles cherchait du regard quelqu’un aux fenêtres du ministère de la Marine. Une jolie main agita un mouchoir de dentelle. Hérault sourit et inclina la tête.
    Le premier, Diedrichsen, secrétaire des banquiers Frey, gravit les dix marches fatales. Puis, de minute en minute, Delaunay, Bazire, Fabre, Séchelles. « Mon ami, lui dit Danton en guise d’adieu, si dans le monde où nous allons il se fait des révolutions, crois-moi, ne nous en mêlons pas. » À l’ultime moment, Camille avait retrouvé son calme. « Voilà donc, murmura-t-il amèrement, voilà comment nous devions finir, nous !… Ma pauvre femme ! » Delacroix voulut embrasser Danton, mais le bourreau était pressé d’en terminer avant la nuit. Les aides poussèrent Delacroix vers les marches. Danton haussa les épaules. « Imbéciles ! empêcherez-vous nos têtes de se baiser dans le panier ? » Il monta le dernier les degrés gluants. Les pieds dans le sang de ses amis, il s’avança vers la planche. Sa silhouette puissante se découpa sur le ciel aux reflets d’incendie. Un instant, il baissa le front. Cette fois, il n’avait plus d’espoir ni d’illusion. « Ma bien-aimée, je ne te verrai donc plus ! » Il se redressa. « Allons, Danton, pas de faiblesse ! » Et, à Sanson : « Tu montreras ma tête au peuple, il n’en voit pas tous les jours de pareilles ! » La planche bascula, le couperet lança son dernier éclair. Sanson se pencha, se releva, brandit dans les lueurs du couchant une grosse boule dont le sang gouttait.
    « Vive la République ! » criait la foule.
    Bien entendu, Nicolas Vinchon, le petit mercier de la rue de Seine, n’avait rien manqué ni du procès ni de l’exécution. Rentré chez lui, il nota les dernières paroles du tribun et ajouta : « Il tombe avec ses amis dans le sang qu’ils ont versé. Ceux qui ont versé le leur y tomberont nécessairement à leur tour. Bientôt la Révolution s’arrêtera parce qu’il n’y aura plus aucun de ceux qui l’ont faite. Que deviendra la liberté, alors ? N’aurons-nous tant souffert que pour perdre ce qui nous a tant coûté ? »
    Les corps dépouillés des quinze suppliciés avaient été déposés au

Weitere Kostenlose Bücher