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Un vent d'acier

Un vent d'acier

Titel: Un vent d'acier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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tout en priant Dieu de lui faire retrouver bientôt ses enfants et son mari. Elle ne se doutait pas que Jean-Baptiste n’était guère loin d’elle. Les perquisitions opérées à son domicile et à Thias n’ayant rien révélé, le District, sensible à sa tragique situation, l’avait libéré peu après le départ de sa femme. Revenu à Limoges juste pour que sa mère eût encore la faculté de le reconnaître avant de rentrer une dernière fois dans le coma et de s’éteindre, il était resté d’abord assommé par tant de malheur. Puis l’idée lui vint que s’il se rendait à Paris, il pourrait secourir Léonarde, la défendre, peut-être la faire relâcher. Il alla au comité de surveillance demander un passeport. On le lui refusa, car il demeurait suspect. Il implora la municipalité, le District. Le malheureux faisait pitié. M. Mounier s’efforça de lui démontrer qu’il n’aurait aucun moyen d’aider sa femme, que Claude était avisé et lui fournirait la meilleure protection. « Si je ne puis rien, dit-il, au moins je serai près d’elle. » M. Mounier s’inclina. Sur ses instances, celles de compère Lunettes, de Martial Barbou, le District finit par lui accorder un certificat de civisme et un passeport que Préat consentit à signer pour le comité de surveillance. Empruntant sur garantie de ses marchandises, pour réunir le plus possible de fonds, Jean-Baptiste partit en poste. Il entra dans Paris vingt-quatre heures après sa femme, et une demi-heure plus tard il était place des Victoires. La nuit allait tomber. Il se hâta d’aller faire viser son passeport à la section, puis demanda une chambre au premier hôtel venu, rue des Grands-Augustins : celui-là même où, onze mois plus tôt, s’était logée Charlotte Corday.
    Jean-Baptiste ne mettait point en doute la bonne foi de M. Mounier, mais il ne croyait pas que Mounier-Dupré voulût le moindre bien à Léonarde. Elle et lui-même avaient toujours considéré le fils Mounier comme un intrigant profitant de la Révolution pour se pousser sans cesse plus haut. Dans la Convention, dans le Comité du gouvernement où il s’était fait élire, il comptait parmi les tigres altérés de sang, il avait versé celui de ses compatriotes Vergniaud, Gorsas, Lesterpt-Beauvais. Il devait en vouloir impitoyablement à une femme dont il n’ignorait pas l’hostilité. Séide de l’atroce Robespierre, tout-puissant lui-même, il lui aurait suffi d’un mot pour arrêter l’affaire s’il l’eût souhaité. Peut-être ne désirait-il pas la mort de Léonarde, parce qu’elle était la sœur de Bernard, mais il entendait assurément qu’elle payât d’une façon ou d’une autre les sentiments dont elle n’avait jamais fait mystère à son égard.
    Tout plein de cette conviction, le lendemain Jean-Baptiste descendit tôt de sa chambre, s’enquit auprès de l’hôtesse des rues à prendre pour aller aux Tuileries. Il connaissait fort peu la capitale. La citoyenne Grollier lui indiqua le chemin. Parvenu au Carrousel, il demanda au café Payen, comme l’avait fait Cécile Renault, où se trouvait le Comité de Salut public. On lui dit d’aller tout à l’autre bout du Château, au coin du Louvre, là où il verrait des canonniers. Ceux-ci commencèrent par l’interroger sur les raisons qui l’amenaient ici.
    « Je dois voir le citoyen Mounier-Dupré, répondit-il. Je viens de Limoges pour cela. Il me connaît bien.
    — Montre ton passe et ton billet de confiance », dit le chef. Il les examina soigneusement, ainsi que le certificat de civisme.
    Tout semblait en règle. Mais on n’entrait pas comme ça au Comité de Salut public. Le chef envoya un de ses hommes avertir un huissier, lequel rendit compte à Claude. Alors seulement le visiteur fut introduit dans l’antisalle, d’où l’huissier le mena au cabinet du commissaire. Des rois ne seraient pas mieux gardés, pensait Jean-Baptiste. Il n’en souffla mot toutefois.
    Claude, s’avançant au-devant de lui, fut saisi de le voir si changé. Le jour ensoleillé qui venait du jardin accusait l’amaigrissement de ce visage où l’amertume, le chagrin remplaçaient l’expression de la bonté tranquille. Des plis douloureux se creusaient aux coins de la bouche. Le pincement du nez, la bouffissure des paupières, le regard fuyant, les mains agitées par un tremblement perceptible : tout trahissait chez ce malheureux les profonds ravages de la douleur et de l’inquiétude.

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