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Un vent d'acier

Un vent d'acier

Titel: Un vent d'acier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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ennemis, soit en entretenant des correspondances et intelligences avec les ennemis intérieurs ou extérieurs de la république, soit en voulant ébranler la fidélité des défenseurs de la patrie, soit en provoquant par des écrits, propos et discours, l’avilissement de la représentation nationale et le rétablissement de la royauté ».
    Le président interrogea chaque accusé sur son identité. Au nom de Delmay, femme Montégut, Léonarde eut juste la force de souffler : « Oui, c’est moi. » On ne lui demanda rien d’autre. Liendon, dans son réquisitoire, collectif également, déclara d’elle, comme Fouquier l’avait noté en marge du rapport Jagot : « C’est une des contre-révolutionnaires les plus prononcées qui aient paru au tribunal. Les preuves contre elle, ajouta-t-il, résultent de lettres par elle adressées à un nommé Carron, maître d’hôtel du ci-devant comte de Jumilhac. » Il lut les passages les plus accablants de cette correspondance, et conclut : « Ces textes n’ont pas besoin de commentaires. » Il passa au suivant des accusés.
    Tous les onze furent déclarés coupables et condamnés à mort, pendant que l’autre section du tribunal, dans la salle de l’Égalité, expédiait de même ses huit clients. À onze heures, les dix-neuf se retrouvaient pour descendre à la Conciergerie. Léonarde, à son tour, s’assit sur la chaise où l’on coupait les cheveux, puis, dans l’arrière-greffe, sur le banc où les Brissotins, les Hébertistes, les Dantonistes, M me  Roland, Charlotte Corday et tant d’autres avaient attendu le moment de marcher au supplice. Comme beaucoup d’entre eux, elle avait maintenant dépassé la peur. La bouche entrouverte, les yeux fixes, elle ne pensait plus. La religieuse, sa voisine, lui parlait ; elle la regarda sans comprendre, sans répondre. L’intensité du malheur qui, après une période prometteuse, la frappait à l’improviste et dans un déroulement vertigineux, la laissait comme assommée. Elle ne songeait plus à son mari, à ses enfants, ni même à prier ; elle ne vivait plus que mécaniquement, dans une complète hébétude. Elle n’avait pas senti le froid des ciseaux sur la nuque quand on lui avait coupé les cheveux. À quatre heures, quand on la fit lever avec les autres pour les conduire aux guichets, elle ne s’aperçut pas davantage qu’on lui liait les mains. Elle traversa la cour d’un pas d’automate, et, devant l’escalier, comme ses bras, ramenés derrière le dos, la privaient d’équilibre pour gravir les marches, elle s’arrêta. Un aide de Sanson la fit monter, la poussa dans une charrette.
    Après la fête de l’Être suprême, la guillotine n’était plus retournée place de la Révolution. Avec l’afflux des prévenus arrivant de tous les départements et exécutés par fournées, la terre, déjà saturée devant le Jardin national, ne pouvait plus absorber les quantités de sang répandu. Il ruisselait, imbibant un large espace. Les passants emportaient à leurs semelles cette boue rougeâtre. Tout le Grand-Carré en était maculé et il y régnait une odeur d’abattoir. En outre, cette boucherie qui blasait même les sans-culottes finissait par provoquer le dégoût de la population. À tous égards, il serait bon d’éloigner un peu le rasoir national. On l’avait donc envoyé sur l’emplacement de la Bastille, mais il n’y était resté qu’un jour. Les habitants de la section n’en voulaient pas. Depuis le 25 prairial, la guillotine fonctionnait plus à l’est encore, tout au bout du faubourg Antoine, à la frontière de Paris et de la campagne : au Trône-Renversé – pas loin de l’ancienne maison Réveillon où le premier sang de la Révolution avait coulé.
    Les charrettes arrivèrent sur l’immense place circulaire entourée d’un double rang d’arbres et inondée de soleil en ce beau soir de la fin juin. Au fond, se dressaient les deux colonnes élevées jadis pour l’entrée de Louis XIV et de sa jeune épouse, Marie-Thérèse, dans Paris. Derrière, c’était la barrière entre les deux pavillons des Fermiers où se tenaient maintenant les postes de garde, au débouché du Cours et, au-delà, le moutonnement bleuté des bois de Vincennes, sous le grand ciel qui tournait au vert. Dans la partie la plus déserte de la place, l’échafaud surmonté de la guillotine projetait sur la blancheur poudreuse et herbue une ombre longue, dégingandée. Sous la

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