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Un vent d'acier

Un vent d'acier

Titel: Un vent d'acier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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lui-même ne faisait rien pour la secourir lui devenait sans cesse plus intolérable. Il ne croyait pas à cette maison d’arrêt où la détention n’était point rude. Encore une fable pour l’abuser et le paralyser. Sa chère femme devait en réalité, dans quelque sombre geôle, dépérir de misère et de chagrin.
    Résolu à la tirer de là sans plus attendre, il se rendit au Palais de Justice où il se fit indiquer les bureaux du Tribunal révolutionnaire. Se gardant de s’adresser à Fouquier-Tinville, puisque Mounier-Dupré avait partie liée avec l’accusateur, il demanda le greffier. Celui-ci travaillait dans une pièce étroite donnant sur le préau de la Conciergerie. Lorsque le visiteur lui exposa sa requête, le scribe le regarda non sans surprise.
    « Tu veux, citoyen, que je fasse passer au tribunal le dossier de ta femme ?
    — Oui, c’est cela. Si tu en trouves le moyen, je t’en serai reconnaissant », dit Jean-Baptiste en ouvrant son portefeuille.
    Il en sortit un assignat de cent livres. Le greffier n’était pas sans quelque usage de ce genre de façons, seulement les solliciteurs attendaient de lui exactement l’inverse, d’habitude. Mais évidemment, des maris peuvent désirer se débarrasser de leur épouse. Et celui-ci en semblait bien capable, avec son visage ravagé, son regard fuyant, ses mains tremblantes. L’anxiété lui prêtait toute l’apparence d’une hypocrite scélératesse.
    « Ce que tu me demandes là n’est pas facile, citoyen » répondit le greffier, pensant tout le contraire. Jean-Baptiste déposa sur la table noire un second assignat. Le scribe hochait dubitativement la tête. Pourquoi ménager la bourse d’un homme assez méchant pour vouloir faire guillotiner sa femme ? Jean-Baptiste, afin de retrouver sa Léonarde, eût donné tout ce qu’il possédait. Un troisième assignat rejoignit les deux autres. Le greffier les ramassa en déclarant :
    « C’est bon, compte sur moi, citoyen. »
    Cela se passait le 3 messidor, 21 juin 94. Le 5 au matin, des gendarmes avec une voiture prenaient la femme Montégut à Port-Libre et la menaient tout droit au tribunal, dans la salle des accusés. Elle était la dix-huitième. Il en arriva une autre. Il y avait là des ci-devant nobles, dont Chamilly, ancien valet de chambre de Louis XVI, un ex-capitaine d’infanterie âgé de vingt-sept ans, Limousin lui aussi, un ex-garde du corps, un exconstituant : François Millon de Montherbant, une blanchisseuse de vingt-trois ans, un charretier, un cultivateur, un menuisier, un prêtre réfractaire, une religieuse, un architecte de Dijon, un étudiant en chirurgie, un officier municipal, un caporal, un enfant de troupe estropié, un hussard hongrois prisonnier de guerre. Huit furent emmenés dans la salle de l’Égalité, onze, avec Léonarde, dans la salle de la Liberté. Elle gardait toujours son plafond bleu et or, son dallage noir et blanc, mais les gradins sur lesquels s’étageaient les prévenus avaient été développés considérablement pour recevoir les « fournées ». Le substitut Liendon occupait le siège du ministère public. Fouquier siégeait dans l’autre salle, avec la seconde section du tribunal. Les deux nouvelles sections instituées par le décret du 22 ne fonctionnaient pas encore, faute de local.
    Fouquier-Tinville ignorait que le dossier de Léonarde Delmay eût quitté son bureau pour passer dans celui de Liendon. Se doutant bien que l’accusateur ne tenait pas à le voir mis au jour, le greffier avait pris soin de le joindre à ceux des affaires confiées au substitut. Qui pourrait savoir comment il était venu là ?
    Léonarde concevait à peine ce qui lui arrivait. Son enlèvement si soudain, cette brusque comparution la stupéfiaient. Suffoquée par la rapidité des événements, elle regardait avec une terreur incrédule ces hommes en noir, empanachés de noir, sur une estrade à gauche ; et, en face des gradins, d’autres hommes, vêtus comme des citoyens ordinaires, qui lui semblaient à la fois féroces et ennuyés. Les battements de son cœur, son sang bourdonnant dans ses oreilles, ne lui laissaient point comprendre ce qu’un personnage en noir lui aussi, mais sans chapeau, assis à une petite table, lisait à haute voix. En fait, le greffier donnait au jury lecture de l’accusation collective. Les prévenus étaient accusés en bloc « d’avoir conspiré contre le peuple français et s’en être déclarés les

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