Un vent d'acier
Parbleu ! songea Claude, si Lise était dans le cas où se trouve Léonarde, moi aussi je serais ravagé.
« Mon pauvre ami ! s’exclama-t-il, vous subissez une rude épreuve. Je suis heureux de voir qu’au moins vous, on vous a libéré.
— Oui, dit Jean-Baptiste amèrement. Je suis rentré chez moi pour recevoir le dernier soupir de ma mère, tuée par le mal qu’on nous a fait.
— Je ne le savais pas. Je comprends ce que vous ressentez, et je vous plains de tout mon cœur. Je vais pouvoir mettre un peu de baume sur le vôtre. Vous venez pour votre femme, n’est-il pas vrai ? Eh bien, elle ne court plus aucun risque.
— On va me la rendre ? s’écria Jean-Baptiste pâlissant d’émoi.
— Je n’ai pas dit cela. Non, il n’est pas possible de la mettre en liberté. C’est déjà un miracle que j’aie réussi à la soustraire au Tribunal révolutionnaire. »
Jean-Baptiste écouta sombrement Claude lui expliquer la situation, comment il avait agi, et les raisons pour lesquelles le seul moyen de sauver Léonarde consistait à la cacher dans une maison d’arrêt.
« Mais où est-elle ? Y languira-t-elle longtemps ? Pourrai-je la voir ?
— Non surtout ! Gardez-vous d’attirer l’attention sur elle. Son salut exige que mes collègues la croient exécutée. S’ils la savaient encore vivante, elle ne le resterait pas vingt-quatre heures. Ne vous inquiétez pas cependant, elle est en sûreté parfaite. Je vous réponds de sa vie. Soyez patient.
— Devra-t-elle donc demeurer perpétuellement en prison ?
— D’abord, elle n’est pas en prison, mais dans un lieu où la détention n’a rien de rude. Elle n’y demeurera pas très longtemps, car le système de rigueur sera bientôt abandonné, j’en suis certain.
— Dites-moi au moins où elle est.
— Non pas, mon ami. Vous ne sauriez vous retenir d’aller rôder par là. Vous éveilleriez le soupçon, vous vous feriez arrêter, et tout serait perdu. Ayez confiance en moi, je vous en supplie ! Tenez-vous coi, patientez. Vous ne pouvez rien de mieux pour votre femme. Vous lui donnerez ainsi la meilleure preuve d’amour. »
Claude emmena Jean-Baptiste dîner avec Lise qui le raisonna, elle aussi.
« Vous pensez, lui dit-elle, si nous tenons à préserver de tout mal la sœur de Bernard ! bientôt notre parente, à tout prendre, puisqu’il va devenir notre neveu. Claude a fait pour elle ce qu’il aurait fait pour moi si j’avais été à la place de la citoyenne. »
Lise offrit à leur hôte de s’installer chez eux, dans la chambre occupée par Bernard quand il venait à Paris. Jean-Baptiste remercia et refusa. Il voulait garder ses coudées franches. Malgré tout, il n’était pas convaincu. Prétendre que Mounier-Dupré avait accompli pour Léonarde ce qu’il aurait accompli pour sa propre épouse, allons donc ! L’aurait-il laissée en prison ?
Pendant deux jours où il ne quitta guère l’hôtel de la Providence, Jean-Baptiste ressassa ses pensées. Il ne lui semblait pas possible qu’une femme comme Léonarde pût être condamnée pour avoir, dans de vieilles lettres à leur ami, écrit ce que les plus honnêtes gens pensaient. Quel rapport entre une telle correspondance et la contre-révolution ? L’hypocrite Mounier-Dupré en faisait accroire à la gentille Lise, dont la sincérité n’était point douteuse. Elle ne savait pas, cette petite, que son mari se vengeait d’eux, les Montégut, pour l’avoir décrié autrefois. Il les empêchait de se réunir ; son refus de dire où se trouvait Léonarde trahissait le calcul. Il s’efforce de m’effrayer pour que je n’agisse point, afin de la garder en prison. Et c’est pourquoi aussi il a pris le moyen de la tenir écartée du tribunal, ce qu’il colore en acte de dévouement. Voilà bien sa ruse. Mais voyons ! aucun juge ne s’arrêterait sérieusement à quelques phrases sans portée, griffonnées dans un moment d’humeur. Si Léonarde paraissait devant le tribunal, elle serait mise en liberté sur-le-champ, ce que Mounier-Dupré ne veut pas. Il n’est pas si terrible, ce Tribunal révolutionnaire. Il a prononcé bien des acquittements.
Il en avait, depuis sa création, prononcé plus de mille, presque autant que de condamnations – ce dont enrageaient les Hébertistes –, mais c’était avant le décret du 22 prairial. Jean-Baptiste ignorait cette loi draconienne, et l’image de Léonarde languissant dans un cachot tandis que
Weitere Kostenlose Bücher