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Un vent d'acier

Un vent d'acier

Titel: Un vent d'acier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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risquait plus rien. Comme Dumas et tant d’autres, elle attendrait en prison le moment, rapproché par chaque victoire des armées, où l’on pourrait abolir la rigueur systématique. Robespierre et Couthon ne tenaient point à la prolonger, mais avant ils entendaient purger la Convention de ce que Maximilien appelait « un tas d’hommes perdus », et parmi eux Tallien, Fouché, Bourdon de l’Oise. Il ne cachait plus son intention de réclamer leurs têtes « et quelques autres », ajoutait-il, de sorte que tous ses adversaires se sentaient inclus dans cette menace vague, par là même terrifiante et maladroite, car elle aboutirait à unir contre lui, pensait Claude, tous ceux qui se croyaient ainsi visés. Au Comité, dans l’attente d’un nouveau rapport auquel l’Incorruptible travaillait secrètement, disait-on, la tension montait sans cesse.
    Quand Léonarde, après neuf jours de voyage, atteignit Paris, elle n’était plus seule. Six prévenus, quatre hommes et deux femmes, envoyés comme elle au Tribunal révolutionnaire par différents départements, l’accompagnaient. Mais, en ce qui la concernait, le poste de la barrière d’Enfer avait des ordres. Elle fut conduite directement à Port-Libre, ci-devant Port-Royal, tout proche. Loin du cœur fiévreux de Paris, c’était, isolée dans la verdure, une des maisons d’arrêt les plus tranquilles, celle qui fournissait le moins à l’échafaud. Comme à la Visitation, Léonarde y eut une chambre, meublée simplement mais où rien, hormis les verrous, tirés le soir, n’évoquait la prison. Durant la journée, les détenus allaient et venaient à l’intérieur, ou sortaient sous les ombrages de l’ancien jardin abbatial. Les femmes lavaient leur linge à la fontaine, elles montraient un souci singulier de coquetterie. Léonarde eut la surprise de retrouver parmi elles Babet Sage, et chacune, en reconnaissant l’autre, s’exclama : « Comment ! Vous, ici ! » Babet restait toujours la même : rieuse, fantasque, galante aussi, car Léonarde ne tarda guère à s’apercevoir que l’amour et le plaisir habitaient ces bâtiments austères. Elle en fut un peu choquée, mais elle cherchait cependant la compagnie de son ancienne voisine qui incarnait tant de souvenirs. Elles parlaient de Bernard.
    « Si vous l’aviez épousé, disait Léonarde, tout aurait peut-être tourné autrement.
    — Bah ! je ne suis pas de celles que l’on épouse.
    — Qu’en savez-vous, ma bonne ? Vous rappelez-vous comme vous l’avez soigné pendant ce terrible hiver avant la Grande Peur ? Comme vous avez tenu la boutique ? Mon mari disait que vous feriez une excellente ménagère. »
    Non sans mélancolie, elles revoyaient tout ce passé apparemment si lointain et si heureux. Léonarde n’avait plus peur, elle s’étonnait seulement de n’être point conduite devant le Tribunal révolutionnaire. « Estimez-vous-en heureuse », lui disaient Babet et ses amies. « Surtout gardez-vous bien de vous rappeler à ces tigres. Paraître devant eux, c’est aller sûrement à la mort. Mais chaque jour qui passe accroît notre chance de nous en tirer. Ils sont en train de se dévorer les uns les autres, et l’on prétend que bientôt le tribunal de sang et ce gouvernement de cannibales seront anéantis. On rétablira la royauté. »
    Ce bruit circulait en effet dans toutes les prisons. Dans les principales, notamment à Bicêtre, au Luxembourg, à Maison-Lazare, les royalistes, profitant des espoirs qu’avaient fait naître les exécutions successives des Hébertistes et des Dantonistes, puis le décret de l’Être suprême et la confirmation de la liberté des cultes, agitaient les esprits. Les contre-révolutionnaires pensaient, comme l’étranger, que Robespierre allait en finir avec la Montagne et les Comités, faire la paix et s’établir comme régent ou protecteur en plaçant le petit Louis XVII sur le trône. Claude se demandait s’il n’y avait pas du vrai dans ces bruits, car Maximilien venait d’obtenir de quatre membres du Comité la libération de l’Anglais Benjamin Vaugham autorisé à passer en Suisse. On voulait renouer avec l’Angleterre des relations diplomatiques officieuses, parce que la coalition des puissances semblait devoir se disloquer prochainement sous les coups des armées républicaines, mais ce motif pouvait n’être qu’un prétexte pour Robespierre.
    Léonarde espérait et patientait comme les autres détenus,

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