Un vent d'acier
dans la gazette. »
Le malheureux ! il la croyait encore vivante. Du coup, la colère de Claude s’éteignit. Quelle inconscience, toujours ! « Oui, oui, calmez-vous », dit-il en le prenant par le bras et le faisant asseoir. « Remettez-vous. Il ne peut plus arriver aucun mal à votre femme, maintenant. Nul ne saurait la tourmenter. Là où elle est, il n’y a plus d’inquiétude, plus depeur, plus de souffrance. »
Jean-Baptiste le regardait, et lentement ces paroles creusaient leur chemin en lui. « Vous ne voulez pas dire ?… demanda-t-il enfin.
— Quand les jugements du tribunal sont rendus assez tôt, ils sont exécutés le jour même pour éviter aux condamnés une horrible attente. Soyez courageux, mon pauvre ami, pensez à vos enfants, ils ont besoin de vous. »
Jean-Baptiste enfouit son visage dans ses mains. Les pleurs filtrèrent entre ses doigts. Claude le tenait par l’épaule. « Votre femme est entrée dans la grande paix, lui dit-il. Il vous faut prendre le courage de vivre pour votre fils et votre fille. »
Le pire, pour Jean-Baptiste, c’était l’affreuse conscience qui l’accablait : « C’est moi qui l’ai tuée ! » gémissait-il entre ses sanglots.
« Vous avez agi pour la sauver, ne vous accusez pas, dit Claude. Allons, venez », ajouta-t-il. Il demanda une voiture et emmena le pauvre homme pour le confier aux soins de Lise et de Maria. Il resta là tout le jour. Le soir, il voulut regagner l’hôtel de la Providence.
Deux jours après, il repartit pour Limoges, laissant à Claude et à Lise le sentiment qu’il ne se relèverait pas de ce malheur.
XI
Bernard ne savait rien de tout cela. La lettre de sa sœur, expédiée par Guillaume Dulimbert au général en chef de l’armée du Rhin, lui courait après sans le joindre. Lorsque Léonarde avait été incarcérée à la Visitation, Bernard, en Alsace, se trouvait aux prises avec les Prussiens de Moellendorf poussant une vigoureuse offensive. En prédisant que, sur le front d’Alsace, les Impériaux ne bougeraient pas, Carnot s’était bien trompé, et plus gravement encore en ordonnant à Bernard d’étendre son aile gauche pour renforcer Jourdan, car le gros de l’armée du Rhin n’opposait plus ainsi que quarante-cinq mille hommes aux soixante mille Prussiens descendant de Mayence en sombres masses. Aucun espoir de les vaincre dans une bataille rangée.
Encore une fois, Bernard fut contraint à la retraite. Il en devenait vraiment le grand spécialiste. Justement, son expérience le servait. Il vit tout de suite comment il pouvait terminer cette retraite par une victoire certaine. Cobourg, sans doute parce que les coalisés s’entendaient fort mal, avait commis la faute de ne point se lier à Moellendorf. Le général prussien, sûr de sa puissance, s’engageait seul entre Rhin et Moselle, en lançant ses divisions par le Hardt vers le mont Tonnerre. Plus il s’avançait, plus il se mettait hors du soutien des alliés rassemblant leurs forces dans le triangle Diekirch, Namur, Mons, où se portaient les efforts de l’armée des Ardennes entraînée par Saint-Just.
Bernard prit aussitôt ses dispositions pour réaliser une de ces manœuvres dont l’énoncé remplissait d’admiration et d’enthousiasme le brave Malinvaud. On ne pouvait avoir meilleur adjudant-général. Il se dépensa infatigablement pendant les trois jours où Bernard, évitant toute attaque frontale, harcelant sans cesse l’ennemi sur les deux flancs, lui tua ou prit, dans des combats continuels de bataillons, de demi-brigades, dans des embuscades soigneusement préparées, près de cinq mille hommes et s’empara de onze pièces de canon. C’était si facile ! Sur ce terrain bien connu depuis un an que l’on s’y battait en long et en large, parmi ces couloirs sinueux, ces plateaux escarpés, ces rochers, ces vignes derrière des murettes, quelques batteries postées d’avance pour attendre les arrivants, couchaient par terre cent ou deux cents hommes à la première décharge de mitraille, et disparaissaient avant que les Prussiens eussent mis leurs pièces en état de riposter. Dans les bois de pins, vers lesquels des pelotons de cavalerie légère attiraient les uhlans, des tirailleurs, insaisissables derrière les troncs, faisaient des massacres.
Après ces trois dures journées, Moellendorf dut être bien aise d’atteindre enfin Kaiserslautern pour y souffler. Cette place non plus, Bernard ne songeait pas
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