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Un vent d'acier

Un vent d'acier

Titel: Un vent d'acier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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avaient transformé en bureau la petite grotte édifiée par les religieuses dans ce coin du jardin, enregistraient ces dépouilles, dressaient les procès-verbaux d’inhumation tandis que l’on traînait sur le plancher les cadavres cireux et maculés, pour les jeter pêle-mêle. Au début, on avait pris soin de les disposer en ordre, de façon à économiser la place, mais comme on ne les recouvrait point de chaux, seulement d’un peu de terre, la putréfaction et la puanteur étaient devenues telles que nul ne voulait plus descendre dans la fosse. De là l’installation du plancher et la transformation de la tombe en charnier.
    La pudique Léonarde fut ainsi mise à nu et son corps, qui avait fait l’intime joie de Jean-Baptiste, offert aux regards blasés des fossoyeurs. L’un d’eux la prit par un pied, la tira et la fit basculer dans l’ouverture d’une des trappes. D’autres cadavres tombèrent sur elle. D’en haut, on entendait chaque fois ce bruit d’écrasement mou, ce bruit de viande. Avec de longs crochets, on s’efforçait d’égaliser un peu les tas. Un instant plus tard, la tête de Léonarde, barbouillée de rouge, les yeux ouverts pleins de sciure, la mâchoire pendante, fut jetée à son tour.
    Dans ce moment, Jean-Baptiste dormait. D’une certaine façon, il suivait le conseil de Claude : ne pas se faire remarquer. Il aurait voulu aller chaque jour aux séances du Tribunal révolutionnaire, en se mêlant au public, pour voir si Léonarde comparaissait, mais il craignait que, l’apercevant, elle ne sût pas contenir ses sentiments. Toute l’entreprise risquerait alors de se révéler. Aussi, malgré sa fièvre et son agitation, se bornait-il, depuis qu’il avait soudoyé le greffier, à parcourir dans les journaux les brefs comptes rendus des audiences suivis par la liste des condamnés. Ce matin-là, comme la veille et l’avant-veille, la première chose qu’il fit, en descendant, ce fut de demander le journal à la patronne. Elle le lui tendit. Il s’assit pour le lire tandis que le garçon lui servait son déjeuner. Soudain, la citoyenne Grollier vit son client se lever d’un bond, renversant sa chaise. Livide, il balbutiait :
    « Ce n’est pas possible, ce n’est pas possible !
    — Qu’avez-vous, citoyen ? s’écria-t-elle, effrayée.
    — Ma femme ! » lui lança-t-il, et il partit comme un fou. Claude l’attendait. Mis au courant, la veille au soir, par Fouquier-Tinville qui ne concevait pas comment une chose pareille était arrivée, il avait bien vite compris, lui. Non, aucun membre du Comité de Sûreté générale, aucun de ses agents, aucun ennemi personnel, comme le soupçonnait Fouquier, n’avait glissé le dossier de Léonarde parmi les causes réservées à Liendon. L’idée ne s’en soutenait point. Une seule personne s’intéressait assez passionnément à Léonarde Delmay pour accomplir ou faire accomplir cela. Claude avait passé la nuit dans la fureur, à maudire la démence de Montégut. Ah ! pourquoi lui-même ne s’était-il pas défié davantage de cet homme égaré par le chagrin, l’impatience, la méfiance et l’ignorance complète des réalités parisiennes ! Près de Lise, elle aussi bouleversée, il se tournait et se retournait sans pouvoir calmer sa colère. Et ce matin il se disposait à secouer durement le responsable de cet atroce désastre. Lise lui avait recommandé pourtant : « Je t’en prie, mon ami, ne sois pas cruel pour ce malheureux ! C’est lui le plus à plaindre, maintenant. » Mais Claude pensait à Bernard, à ce qu’il allait falloir lui écrire. Il redoutait que cela ne lui fît prendre en horreur le gouvernement révolutionnaire. Aussi, lorsqu’un huissier annonça Jean-Baptiste, ordonna-t-il rudement de l’introduire. L’huissier jugea prudent de lui adjoindre deux gardes, car cet homme avait tout l’air d’un fou. Claude les renvoya et, se retournant vers ce criminel :
    « Eh bien, vous êtes fier de vous ?…
    — Je vous en prie ! s’écria Jean-Baptiste, j’ai commis une terrible erreur, mais je vous en conjure, sauvez Léonarde ! Vous le pouvez, j’en suis sûr. S’il faut de l’argent, en voici. Et j’en ai d’autre à l’hôtel. » De ses mains tremblantes, il tirait son portefeuille, fouillait ses poches.
    « Que dites-vous ! s’exclama Claude stupéfait. Sauver votre femme !
    — Oui, je vous en supplie, agissez vite. Elle a été condamnée hier, je l’ai lu

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