Un vent d'acier
Montaigu pour tourner l’ennemi, et il envoyait au général Hatry l’ordre de barrer la route aux Autrichiens en se portant vers Forchies, à gauche au-delà de Charleroi. Cette dernière et grave disposition, Bernard n’avait pas hésité à la prendre. Certes, enlever la place était la raison de la bataille ; on devait néanmoins abandonner momentanément le dispositif d’assaut, car il ne restait plus assez de réserves pour en diriger là-bas afin de couvrir Hatry. Il était indispensable de conserver quelques troupes pour un ultime besoin. Emmenant lui-même une demi-brigade, Bernard alla au secours de Marceau. La brume, dorée par le soleil, s’évaporait. Sur le côté du village, l’Entreprenant s’élevait au bout de son câble. Bernard recommanda de lui apporter à Campinaire les messages des observateurs.
Mais Campinaire appartenait maintenant aux Kaiserlick. Marceau, refoulé dans les bois voisins, accomplissait en vain d’héroïques efforts pour en sortir. Fidèle au procédé qui lui avait mainte fois réussi, Bernard réunit en une batterie unique les pièces de la demi-brigade avec celles de la division et fit tomber sur le village un déluge destructeur, alors Marceau et lui, entraînant les troupes, donnèrent l’assaut. Campinaire fut réoccupé assez vite. Bernard le laissa, tenu assez solidement par Marceau. Les observateurs de l’Entreprenant signalaient qu’à l’aile gauche Kléber avait également ressaisi Trazegnies. Rejetant au-delà du Piéton les divisions adverses que l’on voyait battre en retraite, il les poursuivait, formé sur deux colonnes. Au centre, l’ennemi paraissait cloué sur place. Bernard s’y rendit. Jourdan et Saint-Just, chargeant à la tête de la réserve de cavalerie, avaient dégagé Championnet, ramené les troupes de Morlot dont un bataillon, pris de panique, s’était dispersé, et enfin rétabli tout le front central. Bernard rendit compte à Jourdan de l’ensemble. Sur les instances de Saint-Just, Jourdan se résolut à lancer une offensive pour s’emparer de Fleurus. Là, manifestement, s’appuyait le gros du dispositif ennemi. En prenant cette bourgade, on le désarticulerait. Bernard n’estimait point que l’on fût en situation de frapper ainsi, au plus fort des coalisés.
« Selon moi, dit-il, mieux vaudrait faire accompagner par Morlot la manœuvre de Kléber, pour prendre à revers leur aile droite qui est déjà coupée en deux. Cela les contraindrait sur-le-champ à se retirer sur Saint-Amand et Ligny. Nous aurions alors les plus grandes chances d’emporter Fleurus. »
Saint-Just, tout chaud encore de sa charge victorieuse, se récria : « Quoi ! toujours des temporisations ! Elles n’ont réussi qu’à nous laisser prendre par surprise.
— Tes audaces ont-elles eu meilleur résultat ? » demanda Bernard avec ironie.
Jourdan s’interposa. Pas sûr de lui, il ne voulait point déplaire au puissant Saint-Just. Bernard s’apprêtait donc à faire opérer par l’une des divisions Championnet une conversion par le flanc, pour la lancer avec Lefebvre contre Fleurus dont le clocher s’élevait derrière les fumées ennemies, rousses dans le soleil. Mais la canonnade s’intensifia brusquement sur la droite. En un instant, elle devint furieuse. L’état-major y courut, emmenant la cavalerie. Les généraux autrichiens et hollandais avaient à leur tour jugé le moment venu d’appeler leurs réserves. De nouvelles colonnes blanches, bleu pâle, vertes, grises, où brillaient les mitres de cuivre des grenadiers, refoulaient irrésistiblement Lefebvre sur la route de Charleroi, inondaient le terrain entre le bois de Campinaire et le village de Lambusart.
Tandis que Saint-Just, Jourdan, Hautpoul tombaient de plein fouet sur leur flanc, Bernard, réprimant en lui l’ardeur de combattre, retenait son cheval, arrêtait ses officiers et tirait de ses fontes sa lunette. On ne voyait plus Marceau. Il avait dû, devant cette marée, abandonner Campinaire et Lambusart. Il combattait de nouveau dans les deux bois, sous ces villages. Les fumées du canon sortaient par grosses bouffées blanches, et celle de la mousqueterie par filets, d’entre les frondaisons. Au milieu, passait la route dont on n’apercevait rien, mais Bernard la savait toute droite, plate, et telle que rien n’y permettait à une troupe déjà éprouvée d’arrêter un tel flux. Entre Fleurus et Wangenies, les efforts de Jourdan pour soulager Lefebvre
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