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Un vent d'acier

Un vent d'acier

Titel: Un vent d'acier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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connaissance : des aides de camp se succédaient, demandant des ordres, faisant rapport. Enfin, une fois sur la route de Frasnes où il chevauchait en tête de son état-major, au milieu des colonnes qui marchaient en chantant, il passa les rênes à son coude, tira de sa poche les deux messages et déplia le premier. Par hasard ce fut celui de Léonarde. Bernard apprit ainsi, sans grande surprise, que sa sœur, à Limoges, était incarcérée. N’avait-elle pas fait tout ce qu’il fallait pour en arriver là, un jour ou l’autre ? Son républicanisme, à lui, ne pouvait pas éternellement servir de paratonnerre à la famille. Léonarde, avec ses outrances, avait dû rendre impossible à compère Lunettes lui-même de la protéger. Bah ! un séjour à la Visitation, où se trouvait depuis longtemps la sœur de Lise, la belle Thérèse, ne devait pas être bien terrible.
    « Ce que tu me donnais à prévoir est arrivé, dit-il à Malinvaud en lui tendant le papier. Il y a peut-être bien du Frègebois là-dessous. »
    Il ouvrit le second pli sur lequel se reconnaissait l’écriture de Claude. Celui-ci, avec précaution, lui racontait comment Léonarde, transférée à Paris, avait été mise en sûreté, puis comment l’impatience et l’inconscience de son mari avaient provoqué une catastrophe.
    Sur le moment, tout cela parut à Bernard absolument irréel. Il ne s’agissait pas de sa sœur, de son beau-frère. Des choses comme celles-là n’arrivent point. Mais il savait trop combien le hasard peut être diabolique et féroce, et il dut admettre la vérité de ce que lui annonçait Claude. Il relut les dernières phrases : « Je t’en conjure, Bernard, mon frère, ne cède pas à la tentation de la révolte. Tout cela est horriblement cruel, je le sais ; cependant la nation, que tu priverais du soutien de ton bras, n’est pas responsable. Ne t’en prends pas à la patrie d’un malheur dont la source a été en ta sœur elle-même, elle seule. Sans être une bien dangereuse ennemie de la république, elle accordait toute sa sympathie aux ennemis de la liberté. C’est de quoi elle est morte. » Oui, sans doute ; mais l’horrible, c’était que Léonarde fût morte, et elle avait certainement connu des heures d’une effroyable agonie. Dans quels sentiments, dans quelle horreur était-elle allée au supplice, la malheureuse ? Qui le saurait jamais ?
    Bernard ferma les yeux et laissa tomber sa tête sur sa poitrine. « Qu’as-tu ? » s’exclama près de lui Malinvaud. Sans répondre, Bernard lui donna la lettre. Léonarde, Léonarde la maternelle, la consolatrice, la première douceur féminine. Léonarde la grondeuse et la tendre. Léonarde morte de cette façon affreuse, se vidant à gros bouillons de son sang, la tête séparée du corps. Oh ! Bernard avait l’habitude de spectacles plus monstrueux encore, de membres volant dans une pluie rouge, d’hommes troncs, d’hommes au ventre ouvert, aux entrailles répandues, d’hommes transformés en une innommable bouillie. Mais elle ! Il la revoyait, à la veille du départ des volontaires, pleurant tandis qu’elle lui préparait sa cantine, et maudissant la Révolution qui le leur prenait.
    Il sentit la main de Malinvaud sur son épaule. Le brave Antoine s’était rapproché, il chevauchait botte à botte avec lui, sans rien dire, et le soutenait de son amitié fraternelle, de leurs souvenirs, de la conscience de tout ce qu’ils avaient fait ensemble pour leur exigeante patrie, pour la liberté qui voulait le sang de ses ennemis et celui de ses défenseurs, qui leur demanderait peut-être demain leur vie, à l’un ou l’autre ou à tous deux.

XII
    Le surlendemain, Saint-Just reparut aux Tuileries. Il y régnait une singulière tension. Robespierre avait carrément demandé les têtes de cinq députés : Tallien, Bourdon de l’Oise, Fouché, Dubois-Crancé, Legendre. Les deux Comités les lui avaient non moins carrément refusées.
    Pour mobiliser contre lui les conventionnels en provoquant leur révolte sous l’effet de la peur, Fouché, Tallien faisaient circuler des listes de victimes désignées par Robespierre. Dans les antisalles de la Convention, dans les couloirs des Jacobins, ils glissaient à l’oreille des uns et des autres : « Prends garde, tu y figures toi aussi. »
    Le 9 messidor, Maximilien avait dénoncé au club ces « hommes corrompus qui, pour couvrir leur ignominie, s’efforcent de faire croire que

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