Un vent d'acier
train de traiter à cette heure avec les chefs officiels de la Plaine. Tout le monde s’accordait sur l’abolition immédiate de la loi sanguinaire du 22 prairial, celle de Robespierre et Couthon, mais les modérés exigeaient en outre la suppression des décrets de ventôse, obtenus par Saint-Just et qui menaçaient la propriété, les fortunes. Fouché, Tallien, Legendre eussent consenti à n’importe quoi. Il s’agissait de sauver leurs têtes. Tallien avait, reçu de la belle Thérésa Cabarrus ce billet : « Je vais demain au Tribunal révolutionnaire. Je meurs avec le désespoir d’être à un lâche comme vous. » Soupant à Nanterre chez la ci-devant M me de Saint-Brice, amie de sa maîtresse, il avait, juré, avec Barras et Fréron, de poignarder demain le tyran si l’on ne parvenait à le jeter bas.
Toujours farouchement rectilignes, Billaud-Varenne et Collot d’Herbois n’admettaient, eux, aucune concession. Ils voulaient se délivrer de Robespierre mais maintenir la terreur, anéantir le royalisme et toute espèce de superstition déiste ou chrétienne, donner à la république une forme absolument égalitaire, laïque et démocratique. Avec quelques membres du Comité de Sûreté générale, ils étaient aux Jacobins. Ça sentait la poudre, dans la vieille chapelle. Une foule nerveuse, excitée, emplissait la cour dans le soir tombant, et la salle où l’on allumait les lustres de tôle. Les partisans de Robespierre se trouvaient en énorme majorité, ce soir. Ils manifestaient leur colère contre ses ennemis. Collot, Billaud avaient été très mal reçus. On criait contre eux, on les menaçait, eux et leurs compagnons, lorsque l’Incorruptible arriva, au milieu des habitués de la maison Duplay. Tumultueusement acclamé, il demanda la parole. Collot la voulait aussi. Les imprécations et les injures le réduisirent au silence. Robespierre parla.
« Aux agitations de cette assemblée, dit-il, il est aisé de se rendre compte qu’elle n’ignore pas ce qui s’est passé ce matin à la Convention, il est facile de voir que les factieux craignent d’être dévoilés en présence du peuple. Au reste, je les remercie de s’être signalés d’une manière si prononcée, et de m’avoir mieux fait connaître mes ennemis. » Puis il donna lecture de son discours. Pendant deux heures, les applaudissements se succédèrent, saluant chaque passage. Les bravos, les acclamations, l’enthousiasme allaient croissant. C’était un triomphe. Et quand l’Incorruptible, après sa conclusion, ajouta : « Ceci est mon testament de mort. Je l’ai vu aujourd’hui, la ligue des méchants est si forte que je ne peux espérer lui échapper. Je succomberai sans regret, vous défendrez ma mémoire. Si je bois la ciguë…
— Je la boirai avec toi ! » s’écria David, et cent voix répétèrent : « Tous ! Nous la boirons tous ! »
Comme les Collotistes faisaient entendre quelques murmures, les tribunes s’indignèrent. Collot puis Billaud tentèrent en vain de parler. Des cris furieux couvraient leur voix. Dumas dénonça en eux les héritiers d’Hébert et de Danton. « À la guillotine ! » répondit le public. Couthon se faisait porter à la tribune, on se tut pour l’écouter.
« Citoyens, dit-il de sa voix douce et calme, je suis convaincu de la vérité des faits énoncés par Robespierre. Cette conspiration est la plus profonde de celles qui ont eu lieu jusqu’à présent. Assurément, il y a des hommes purs dans les Comités, mais il n’y a pas moins assurément des scélérats dans ces mêmes Comités. Moi aussi, je demande une discussion : non pas celle du discours de Robespierre, mais celle de la conspiration. Nous les verrons paraître à cette tribune, les conspirateurs. Nous les examinerons, nous constaterons leur embarras, nous retiendrons leurs réponses vacillantes. Ils pâliront en présence du peuple, ils seront convaincus et ils périront. »
Pour l’infirme, pas plus que pour Robespierre, la défaite parlementaire de ce jour ne compromettait rien. Il envisageait de transporter la lutte de la Convention ici, en appelant au club les accusateurs de l’Incorruptible. La motion provoqua un nouvel enthousiasme. On applaudit, on acclama Couthon, on agitait en l’air les chapeaux. « Les conspirateurs à la guillotine ! » criait la salle. Sur les gradins, Collot, Billaud et leurs amis s’efforcèrent encore d’obtenir la parole, protestant que le
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