Un vent d'acier
applaudissait aussi Cambon. Le public, muet, ne comprenait pas. Les Robespierristes étaient atterrés par cet effondrement si soudain. Pourquoi Maximilien ne se défendait-il pas ? Il voulut remonter à la tribune, mais le président Collot d’Herbois donnait la parole à Billaud. « Je réclame la liberté de dire mon opinion », protesta Robespierre. « C’est ce que nous réclamons tous ! » lui cria-t-on de tous les points de l’hémicycle. Cependant, Billaud-Varenne fonçait. « Oui, il est temps de mettre les vérités en évidence, il est temps d’arracher les masques ! » Robespierre ne s’était éloigné du Comité, déclara-t-il, que pour mieux conspirer contre la représentation nationale. Il parla des entreprises factieuses de la Commune dominée par les séides robespierristes, des compagnies de canonniers dont on retenait encore à Paris un nombre beaucoup trop important. « J’aime mieux, dit-il, que mon cadavre serve de marchepied à un ambitieux, que d’autoriser ses forfaits par mon silence. » Et il demanda le rapport du décret d’impression, l’examen du discours par les deux Comités.
« Quoi ! s’exclama Robespierre, on enverrait mon discours à l’examen des membres que j’accuse ! » Des vociférations lui répondirent. « On me menace, on veut ma mort ! » bredouilla-t-il. Il était toujours au pied de la tribune, attendant la parole. L’un des secrétaires, le dantoniste André Dumont, lui jeta : « La mort, scélérat, tu l’as mille fois méritée ! » La salle, où le soleil chauffait les fenêtres haut situées, s’emplissait de rumeurs. La majeure partie du public encourageait l’Incorruptible, prenait à partie ses ennemis. À la tribune, Panis, à son tour, lui reprocha de rejeter sur lui la responsabilité des massacres de Septembre, et le somma de désigner les députés dont Couthon et lui, aux Jacobins, réclamaient depuis un mois le sacrifice. Charlier criait : « Aie donc le courage de nommer ceux que tu accuses ! » Toute la Montagne, amis et ennemis confondus, rugit : « Oui, nomme-les ! Nomme-les ! »
Comme Saint-Just, Claude demeurait immobile et muet. Il laissait la meute qu’il avait découplée s’acharner sur la bête, et déjà il se reprochait d’avoir cédé à la colère. Oui, il détestait l’esprit de Maximilien, mais ceux qui aboyaient à présent contre lui étaient des hommes presque tous méprisables. Et si les bourgeois de la Plaine s’alliaient à eux, c’est parce qu’ils espéraient abattre avec lui la Révolution démocratique.
Entre les hurlements, on entendit quelques fières paroles prononcées par Robespierre enfin à la tribune. « Mon opinion est indépendante… Je ne crains personne… Je n’écoute que mon devoir… Je ne veux ni l’appui ni l’amitié de personne. Je ne veux prendre aucune part à ce que l’on décidera au sujet de mon discours. »
Il se tut et alla s’asseoir auprès de Couthon. Ils parlèrent entre eux tandis que le bruit s’apaisait, que successivement Amar, Bentabole, Thirion dénonçaient l’esprit despotique de Robespierre et demandaient le rapport du décret. Barère, virant au vent une fois de plus, revint sur sa motion précédente et se prononça pour l’examen du discours par les Comités, avant l’impression. On vota. Le décret fut rapporté.
Pour l’Incorruptible, c’était une défaite lourdement menaçante. Il ne paraissait pas s’en rendre compte. La séance levée, il partit avec son frère et Le Bas, rentra chez Duplay, à cinq heures, en disant : « Je n’ai plus à compter sur la Montagne, mais la masse de la Convention m’entendra. » Il ne lui semblait pas possible que la Plaine suivît des hommes tarés, il ne doutait point de la ressaisir dès demain. Après le souper, il alla tranquillement se promener aux Champs-Élysées, en compagnie d’Éléonore. Brount courait devant eux. Le temps restait très chaud, beau, avec, au bas du ciel, des strates de nuages entre lesquels le soleil descendait comme une énorme orange. « C’est du beau temps pour demain », dit Éléonore. Ils firent demi-tour. La séance, aux Jacobins, allait commencer dans un moment.
Claude ne s’y rendit pas, il ne pouvait s’y passer rien d’important. Au sortir de la Convention, il avait parlé brièvement à Sieyès et en avait reçu sans enthousiasme la même assurance que la veille. Il savait Fouché, Tallien, Bourdon, Barras, Legendre en
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