Un vent d'acier
délibération devint alors très vive. Avec Carnot, Lindet, Panis, Collot et Billaud, le plus grand nombre voulait prendre des mesures énergiques pour briser la force insurrectionnelle de la Commune, maintenir les sections dans l’obéissance à la loi, réprimer les mutins. On chargea Barère de rédiger dans ce but une proposition de décret ainsi qu’une proclamation au peuple. Saint-Just était seul maintenant à défendre encore l’idée de la concorde.
« Je ne conçois pas, disait-il, cette manière perpétuelle d’improviser la foudre. Je vous conjure de revenir à des sentiments plus justes, à des mesures plus sages.
— Qui improvise la foudre ? se récria Lindet. Est-ce nous qui mobilisons la force armée ? J’ai estimé ton désir de conciliation, mais il commence à prendre des allures suspectes : il aboutirait à nous livrer aux conspirateurs. Il n’y a pas d’entente possible avec qui veut subjuguer la liberté. »
Collot s’emporta : « Le complot contre la représentation nationale est certain. Si vous ne voulez pas recevoir Lecointre, mandez son frère. Il a tout entendu, aux Jacobins. Il témoignera. »
On l’envoya chercher. C’était Lindet, à présent, qui arpentait le salon et jetait à Saint-Just des regards soupçonneux. Assis sur les chaises blanches et bleues, autour de la table, ou, çà et là, sur les chaises de paille, chacun se taisait, les yeux cuisants, le front moite. Il faisait lourd dans la salle où les bougies, le lustre, les flambeaux à garde-vue blanc et doré ajoutaient à la chaleur. La nervosité luttait avec la torpeur provoquée par la touffeur endormante et l’insomnie. Claude entrouvrit une fenêtre derrière les rideaux, mais il entrait peu d’air. Dans le silence momentané, on entendait le pas des grenadiers montant la garde sur la terrasse. Barère, posant sa plume, lut un premier projet de décret. Une nouvelle fois, on supprimait le commandement général de la garde nationale pour le donner à tour de rôle aux chefs de légion.
Là-dessus, le frère de Lecointre arriva. Il était quatre heures passées. Le notaire confirma longuement et de la façon la plus précise les propos tenus aux Jacobins. Tous les membres non robespierristes des deux Comités devaient être saisis avant l’aube par les hommes d’Hanriot qui occuperait, au jour, le Palais national. Une fois le témoin congédié, Claude proposa de mander sur-le-champ le maire et Payan. Il n’y avait plus à balancer, il fallait se défendre. Quand ils seraient là, on trouverait le moyen de les garder en otages.
Saint-Just se taisait : sa position devenait intenable. Il ne pouvait plus protester contre les mesures envisagées, sans paraître se ranger avec les Robespierristes. Il était entre les deux partis hostiles, et ne voulait en soutenir aucun. Il lui semblait possible de réunir dans la Convention une puissante majorité indépendante de l’un et de l’autre. Comme cinq heures sonnaient, il se leva, rassembla ses papiers, et, annonçant qu’il reviendrait à dix heures soumettre son rapport au Comité, il partit.
Aussitôt, on décida l’arrestation d’Hanriot, de ses lieutenants : Boulanger et Lavalette, et de Dumas. Barère lut son projet de proclamation. Dehors, les moineaux pépiaient dans le jardin. On leva la séance, on ouvrit les portes. Les députés anxieux, qui attendaient dans le couloir, dans l’antisalle, entrèrent. Quelqu’un tira les rideaux. Un jour maussade se levait, démentant les prévisions d’Éléonore Duplay : ce 9 thermidor ne serait pas beau. La clarté grise éclairait les figures grises de fatigue, de tension, d’insomnie. Parmi les nouveaux venus, Barras, au contraire, semblait avoir passé une excellente nuit. Tout frais, fleurant l’eau de Cologne, il annonça en aparté à Claude et Lindet : « La chose est entendue avec Cambacérès, Boissy d’Anglas, Durand-Maillane. On en finira aujourd’hui.
— C’est bon. Je vais passer un moment chez moi, je reviendrai dans la matinée », dit Claude. Auprès du brillant Barras, il se sentait sale et usé. En traversant l’ancienne cour des Princes, il aperçut Fleuriot-Lescot et Payan qui arrivaient dans une voiture de la municipalité. Nulle part, sur le Carrousel, ne se manifestaient les troupes de la Commune.
On n’en voyait pas davantage lorsque, à dix heures moins le quart, après avoir dormi un peu, pris un bain, déjeuné et tout raconté à Lise en
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