Un vent d'acier
sûr qu’ils ne fussent point, les uns et les autres, malgré leur fureur et leurs démonstrations, prêts encore à transiger avec Robespierre s’il se contentait des têtes de Tallien, de Fouché, abandonné par Collot, de Bourdon de l’Oise, de Carrier, du non moins féroce Rovère, ci-devant marquis de Fontvielle, et de deux ou trois autres Hébertistes ou Dantonistes. Il se demandait s’il ne valait pas mieux éviter à ce prix la rupture. Mais Robespierre ne transigerait jamais. Il lui fallait faire disparaître tous les hommes avec lesquels sa république vertueuse n’était pas possible.
En vérité, ce qu’écrivait Saint-Just ne visait pas spécialement à la réconciliation. Il se montrait indulgent pour les fautes commises et par les membres des Comités et par Maximilien, mais il n’en soulignait pas moins leurs erreurs, aux uns comme aux autres, leurs visées personnelles, leur dangereuse impuissance. Au total, il tendait à les renvoyer dos à dos. Il comptait demander à la Convention d’adopter les institutions de la Cité future, esquissée par les décrets de ventôse et dont il présenterait « incessamment le tableau complet ».
Peu après une heure du matin, il fut interrompu dans son travail. Du bruit se produisait dans le couloir. Des pas, des voix résonnaient. Un des huissiers vint dire que le citoyen député Lecointre demandait à être entendu. Barère, Collot, Billaud et leurs amis de la Sûreté générale s’y opposèrent. Ils ne voulaient évidemment pas, pensa Claude, se lier à Lecointre : un de ceux qu’ils abandonneraient éventuellement à Robespierre, en gage d’union. Une demi-heure plus tard, le marchand versaillais revint et fit passer un billet.
Aux Jacobins, après le départ de Billaud-Varenne et de Collot d’Herbois, il y avait eu un conciliabule. Coffinhal, vice-président du Tribunal révolutionnaire, Payan, Fleuriot-Lescot avaient pressé Robespierre d’exécuter sans délai un coup d’État. Dans la nuit, Hanriot cernerait les Tuileries, se rendrait maître des Comités, occuperait la salle de la Convention. Au jour, Paris, sans possibilité de résistance, se trouverait au pouvoir du triumvirat. Robespierre, persuadé par son triomphe ici qu’il était le maître de la situation, sûr de remporter demain la victoire à l’Assemblée, avait refusé. Il n’entendait point sortir de la légalité. Il était allé paisiblement se mettre au lit. Mais la Commune semblait passer outre à son consentement. Lecointre annonçait que son propre frère, notaire rue Meslée, et garde national, venait d’être convoqué par son chef d’escadron, pour « service extraordinaire ».
Ne recevant toujours pas audience – pas plus que Fréron, venu également donner l’alarme – Lecointre amena Cambon à la rescousse. Hormis Robespierre, cette nuit, décidément, personne ne dormait. Cambon non plus ne fut pas reçu. Mais on ne pouvait repousser indéfiniment la délibération. Collot, Amar, Billaud, Lacoste, Voulland durent se résoudre à ouvrir les débats en présence de Saint-Just. Il déclara ridicule ce prétendu complot. Si un dessein d’insurrection avait existé à la Commune, il l’aurait su. « Il existe parfaitement, répondit Claude, et depuis plus d’une décade. »
On décida de convoquer le chef d’escadron en question pour l’interroger. Barère prit un papier à en-tête et rapidement écrivit : « Citoyen, les deux Comités t’appellent auprès d’eux dans le local du Comité de Salut public. » Il signa, fit signer Prieur et Collot pour le Comité, Amar, Voulland, Lacoste et Louis du Bas-Rhin, pour la Sûreté générale. Tous réclamèrent le paraphe de Saint-Just qui consentit en haussant les épaules.
Le chef d’escadron, notaire lui aussi, se nommait Hesmart. Il commandait la cavalerie des sections. Il montra l’ordre par lequel Hanriot lui enjoignait de se tenir prêt à marcher, le 9, dès sept heures du matin, avec toute la force armée à cheval. « Eh bien, dit Claude à Saint-Just, refuses-tu encore de croire à la conjuration ? » Le jeune homme répondit qu’il s’était déjà expliqué là-dessus. On se faisait peur les uns aux autres, et chacun cherchait à se défendre.
Hesmart déclara que loin de se réunir à Hanriot, il se mettait avec sa troupe à la disposition du Comité pour protéger la Convention. On le remercia en lui promettant de recourir à lui s’il en était besoin. Il partit. La
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