Un vent d'acier
ne se manifestait dans Paris. Les charrettes, avec leurs chargements de condamnés, venaient de passer comme tous les soirs. Sa besogne du jour terminée, et les tribunaux ne siégeant pas le lendemain, décadi, Fouquier-Tinville soupait tranquillement, en face du PontRouge, dans l’île de la Fraternité, ci-devant Saint-Louis, chez des robins. Il y avait là, outre l’épouse de l’hôte et la femme de Fouquier, une autre citoyenne. La conversation restait toute mondaine. Au milieu des propos, on entendit rouler au loin le tambour. Le citoyen Vergne envoya aux renseignements un domestique. Il revint en disant qu’on battait le rappel parce que les ouvriers du port se rassemblaient sur la Grève, « relativement au maximum ».
On était autrement mieux informé à la section de l’Arsenal. Ses commissaires apprirent à Hanriot que Robespierre se trouvait, avec ses amis, détenu au Comité de Sûreté générale. Faisant aussitôt demi-tour, Hanriot retourna prendre à l’Hôtel de ville le piquet de gendarmes à cheval avec lesquels il se jeta, bride abattue, dans la rue Honoré. Au passage, apercevant Merlin de Thionville sur la place du ci-devant Palais-Royal, il le fit arrêter et enfermer au poste de la Maison-Égalité – lequel poste le relâcha peu après.
Arrivé sur le Petit-Carrousel, devant l’hôtel de Brionne, Hanriot laissa là le gros de sa troupe. Avec un petit nombre de gendarmes, il passa sous le nez des grenadiers ahuris, se précipita dans les bureaux. Tonitruant, bousculant les commis, les huissiers, il courut par le couloir en planches jusqu’à la salle du Comité, dont la porte fut ouverte à coups de bottes. Pas de prisonniers. Ils étaient en train de souper au Secrétariat. Hanriot, empoignant Amar à la gorge, le secoua pour lui faire dire où l’on gardait les détenus. Mais le vieux Ruhl interpellait les soldats. « Cet homme n’est plus votre général, l’Assemblée nationale l’a décrété d’arrestation. Obéissez à la loi, emparez-vous de lui ! » Les gendarmes flottèrent. Les grenadiers se précipitaient au secours des commissaires. Hanriot fut saisi, désarmé, bientôt ligoté avec une corde qu’un huissier courut acheter. Amar, à son tour, le secouait et l’injuriait. Il ordonna de l’enfermer au cachot. Deux députés, Courtois et Robin, du restaurant Berger où ils soupaient, avaient vu, par les fenêtres du Comité, ouvertes toutes grandes, ce qui s’y passait. Ils arrivèrent au moment où Amar donnait cet ordre. Robin s’y opposa. « Il ne s’agit pas d’enfermer ce traître, dit-il, il s’agit de l’exécuter sans perdre une minute. » Et il le conduisit lui-même, avec une escorte de grenadiers, au Comité de Salut public auquel il exposa sans ambages son avis. Le Comité ne s’empressait pas d’y souscrire. Hanriot avait bu, selon son habitude, mais n’était pas ivre, loin de là, ni sot. En l’occurrence, on avait beaucoup plus d’avantages à tenter de le gagner qu’à le passer par les armes, comme le désirait Robin, peu diplomate.
« Que veux-tu que nous fassions ? lui demanda Billaud-Varenne.
— Que vous le punissiez sur-le-champ, sinon ce scélérat, puissamment secondé par ses partisans, pourrait bien vous égorger avec toute la Convention.
— La loi ne nous permet que de le traduire au Tribunal révolutionnaire, remarqua Claude.
— Voudrais-tu donc, dit Barère, que l’on nommât une commission militaire pour le juger prévôtalement, séance tenante ?
— Ce serait un peu vigoureux », observa Collot d’Herbois.
Robin les couvrit tous d’un regard soupçonneux. « Vous ne vous conduiriez pas autrement si vous étiez ses complices », dit-il avec colère.
Il sortit. Barère le rattrapa dans l’escalier de la Reine et le convainquit de ramener le prisonnier au Comité de Sûreté générale avec lequel on allait s’occuper diligemment de la question.
Hanriot, les bras toujours liés, fut donc reconduit à l’hôtel de Brionne, à travers les cours où la foule bourgeoise le hua. Alertée par le tambour, par le tocsin qui sonnait à la Maison commune, elle affluait maintenant autour du Palais national. Dans les locaux de la Sûreté, Hanriot retrouva les deux Robespierre, Couthon, Saint-Just, Le Bas, achevant le chapon gros sel et le mouton rôti de leur souper arrosé de Bourgogne. Mais il ne demeura pas avec eux, car l’huissier Chevillon, s’apercevant qu’il adressait des signes aux
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