Un vent d'acier
place de Collot d’Herbois, cependant on ne délibérait point. La plupart des représentants, debout, allaient et venaient, formaient des groupes, parlaient entre eux. Certains, qui ne s’étaient pas couchés, la nuit dernière, dormaient sur leur banc. Les quinquets aux murs, les deux lustres pendant du plafond de papier peint, les hauts lampadaires à quatre foyers, encadrant l’estrade, laissaient dans une pénombre les amphithéâtres quasi déserts où de rares visages, taches pâles, groupées, piquetaient çà et là les étages de banquettes bleues. Seuls, deux ou trois journalistes occupaient leur galerie. Par moments, des citoyens se présentaient à la barre, venant témoigner leur fidélité à la Convention nationale.
Claude se trouvait, avec ses collègues des deux Comités et Dubon, dans la petite salle, derrière l’estrade. Ils n’ignoraient point la marche des troupes de la Commune sur les Tuileries, mais n’avaient aucune force à leur opposer. On entendait, dehors, une rumeur, des sabotements de chevaux, des roulements. Le cas échéant, on emmènerait l’Assemblée à Meudon, car le chemin, par le Jardin national et la place de la Révolution, demeurait libre. En attendant on préparait des mesures pour porter un coup radical à la Commune si les circonstances prenaient une tournure favorable. Bréard souleva la tenture. « Un huissier me dit que les troupes occupent la place, annonça-t-il.
— Va ton train, répliqua Billaud sans s’émouvoir. Demande seulement à ton homme d’observer et de nous tenir au courant. »
Un instant plus tard, un gendarme, un certain Méda, grand hâbleur mais qui avait gagné plusieurs de ses camarades au parti de la Convention, vint, tout fébrile, annoncer la délivrance d’Hanriot. « Il va donner l’assaut », ajouta-t-il. Collot se leva et sortit avec le gendarme.
Sur le Carrousel, dans le crépuscule, Hanriot se bornait à se proclamer blanchi par le Comité de Sûreté générale, on avait reconnu son innocence. Du coup, la foule l’acclamait. Les sectionnaires, les canonniers de la Commune, les gendarmes, les grenadiers de la Convention, enchevêtrés sur le Petit-Carrousel et dans les cours des Tuileries, ne comprenaient plus rien. « Avec qui est-on ? Contre qui ? » demandait le petit mercier Nicolas Vinchon, dont le bataillon s’était joint aux forces de Coffinhal. Mais ni le charcutier Hacqueville ni le lieutenant-colonel lui-même ne savaient seulement pourquoi on les faisait marcher.
Dans la salle des séances, les représentants avaient eux aussi entendu les bruits et appris ce qui se passait. Des citoyens arrivant des cours donnaient l’alarme. Fréron, Merlin de Thionville, Legendre, se succédant à la tribune, exhortèrent leurs collègues à se montrer intrépides. Lecointre distribuait des pistolets.
Collot rentra dans la petite salle. Avec un signe de tête, il dit : « Gagnons nos places, il faut que la Convention vote. » En reprenant son fauteuil présidentiel, il lança de sa voix forte d’acteur : « Citoyens, voici l’instant de mourir à notre poste. Des scélérats, des hommes armés se sont emparés du Comité de Sûreté générale. » Des cris divers, dont Barras, Lecointre, Fréron, Legendre et le Léopard donnaient le ton, lui répondirent : « Aux armes ! Courons tous ! Vivre libres ou mourir ! »
Un grand mouvement se fit vers les portes. Le public s’élançait avec les députés pour se précipiter vers l’hôtel de Brionne. Goupilleau de Montaigu, le cousin du Dragon, qui rentrait, arrêta tout en annonçant la retraite des insurgés. Des citoyens et des représentants confirmèrent. Il ne restait sur la place que des troupes fidèles ou gagnées à la Convention : tout le bataillon du Panthéon, des gendarmes, des canonniers en train de mettre leurs pièces en batterie dans les cours pour défendre le Palais national.
La sonnette de Collot d’Herbois appelait chacun en séance. Élie Lacoste, montant à la tribune, déclara que Robespierre était non pas en prison mais à la mairie. Protestations indignées. Barère lut alors un projet préparé en commun dans le petit salon et par lequel les deux Robespierre, Couthon, Saint-Just et Le Bas étaient mis hors la loi, avec leurs complices, c’est-à-dire toutes les personnes qui s’opposeraient à l’autorité de la Convention nationale. Dans l’atmosphère dramatique où les « Terroristes » avaient su la plonger en
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